Dans l’éclat doré des projecteurs cannois, où le cinéma mondial se pare de ses plus belles illusions, une silhouette discrète mais déterminée incarne cette année l’âme du cinéma congolais. Dieudo Hamadi, documentariste aux yeux perçants et à la caméra militante, siège au jury des longs métrages du 78e Festival de Cannes. Une consécration qui résonne comme un murmure puissant : le septième art congolais, longtemps relégué en coulisses, prend place à la table des décideurs.
Qui aurait imaginé, il y a dix ans, qu’un enfant de Kisangani façonné par les réalités brutales de la RDC déciderait du sort de la Palme d’or ? Depuis sa sélection officielle en 2020 avec En route pour le milliard, Hamadi trace un sillon lumineux dans le paysage cinématographique africain. Son regard acéré sur les institutions congolaises – des tribunaux corrompus aux promesses électorales trahies – dialogue aujourd’hui avec les plus grands noms du cinéma mondial.
À travers films et séries, dont Milimo, les âmes errantes de Kinshasa en développement pour Canal+, le fondateur de Kiripifilms tisse une œuvre où l’intime épouse le politique. Ses documentaires, récompensés du Prix Joris Ivens à Paris au Grand Prix FIDADOC à Agadir, sont autant de miroirs tendus à une société congolaise en quête de vérité. « Le cinéma, confiait-il lors d’une masterclass à Harvard, est une arme pacifique pour réveiller les consciences endormies. »
Sa présence parmi les juges de la compétition principale – première historique pour un cinéaste de RDC – s’apparente à un acte de résistance artistique. Alors que Baloji ouvrait l’an passé la voie dans la catégorie Caméra d’or, Hamadi franchit un nouveau palier. Dans les dédales du Palais des Festivals où se négocient les destins des films, son vote pèsera sur l’attribution des prix les plus prestigieux, de la mise en scène à l’interprétation.
Cette nomination couronne une trajectoire jalonnée d’audaces. De Dames en attente (2009) à La Vie est un chemin de fer en préparation, le réalisateur conjugue exigence esthétique et engagement social. Son indépendance farouche – incarnée par sa maison de production Kiripifilms créée en 2015 – lui permet d’explorer sans concession les fractures d’une nation en perpétuelle reconstruction.
Sur la Croisette où se côtoient paillettes et enjeux géopolitiques, Hamadi apporte la mémoire vibrante des rues de Kinshasa. Chacune de ses interventions au jury résonne comme un écho lointain du fleuve Congo : puissant, imprévisible, chargé d’une sagesse née des combats quotidiens. Le cinéma congolais, par sa voix, ne se contente plus d’être vu – il influence désormais les canons de la cinéphilie mondiale.
Alors que s’achève cette 78e édition sous le soleil méditerranéen, une question plane : et si la Palme d’or 2023 portait en elle l’ADN des luttes et des espoirs congolais ? Qu’importe le verdict final. Par sa seule présence dans le saint des saints cannois, Dieudo Hamadi a déjà offert à son pays une victoire bien plus précieuse qu’un trophée : la reconnaissance intangible d’un cinéma qui ose dire non.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Actualite.cd
