Dans les rues de Bunia, une scène inhabituelle capte l’attention : des enfants en uniforme gris arpentent les artères principales au volant de motos transformées en ambulances improvisées. Joséphine Iragi, 7 ans à peine, ajuste son brassard frappé de l’emblème rouge avec une concentration de professionnelle. « Humanité, impartialité, neutralité… », énumère-t-elle avec une précision déconcertante, récitant les principes de la Croix-Rouge comme d’autres psalmodient des tables de multiplication.
Cette image saisissante illustre une réalité troublante de l’Ituri. Dans cette province congolaise meurtrie par des années de violence, les conflits armés ont créé un vide que comblent paradoxalement les plus jeunes. Muhindo Ndenga, 14 ans, témoigne : « Quand on entend des tirs, on court vers les blessés. La semaine dernière, j’ai transporté une femme enceinte sur mon vélo jusqu’à l’hôpital ». Son regard déterminé contraste avec son uniforme trop large.
Le vice-président de la Croix-Rouge en Ituri, Chadrac Mumbere, défend cette implication précoce : « Face à l’ampleur des besoins, chaque main compte. Ces enfants maîtrisent les gestes salvateurs mieux que bien des adultes ». Pourtant, la question brûle les lèvres : comment en est-on arrivé à confier le sort des victimes de guerre à des écoliers ?
À Djugu, épicentre des violences intercommunautaires, leur rôle dépasse souvent les premiers secours. Ils deviennent messagers de paix, négociateurs improvisés entre groupes armés. Une responsabilité écrasante pour des épaules enfantines, mais qui reflète l’effondrement des structures étatiques. La Croix-Rouge Ituri forme chaque mois une centaine de ces jeunes secouristes, transformant des jouets en trousses de secours et des récréations en simulations de crise.
Derrière cet héroïsme forcé se cache une amère réalité. Le Programme alimentaire mondial estime que 72% des enfants de la province souffrent de malnutrition chronique. Pourtant, ils trouvent la force de porter assistance. « Quand je sauve quelqu’un, j’oublie que j’ai faim », confie Joséphine, dans un sourire qui en dit long sur la résilience de cette génération sacrifiée.
Cette mobilisation juvénile pose des questions cruciales sur l’avenir de la RDC. Jusqu’où une société peut-elle s’appuyer sur ses enfants pour pallier ses défaillances ? Si leur courage force l’admiration, il interroge aussi sur l’urgence de reconstruire un État capable de protéger ses citoyens – quel que soit leur âge.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
