Le Sénat congolais vient d’ouvrir un chapitre inédit dans sa gestion interne, sous le feu des projecteurs d’une opération d’assainissement salarial qui pourrait bien révéler les fissures d’un système longtemps opacifié. À l’initiative du questeur Taupin Kabongo Mukengeshayi, cette vaste campagne de contrôle administratif et physique du personnel vise à traquer les agents fictifs, ces fantômes budgétaires qui hantent depuis des années les comptes de la Chambre haute. Une démarche présentée comme salvatrice pour « rationaliser » et « optimiser » les ressources publiques, mais qui soulève déjà des questions sur l’ampleur réelle de ce phénomène et ses implications politiques.
« Qui est qui ? Qui fait quoi ? Et comment le fait-il ? » : le triptyque posé par le questeur Mukengeshayi lors de la réunion inaugurale du 7 mai résume à lui seul l’enjeu de cette opération. Didier Molisho, coordonnateur de la commission ad hoc, précise que l’audit combinera un volet logistique et un examen minutieux des ressources humaines. Objectif affiché : établir l’effectif réel du personnel, aujourd’hui estimé entre 514 et 520 agents, selon des chiffres qui semblent flotter dans un flou artistique propre aux administrations congolaises.
La suspension immédiate de tout mouvement du personnel, incluant les avancements en grade, donne à cette initiative un caractère d’urgence qui interroge. S’agit-il d’une simple opération comptable ou du prélude à une restructuration plus profonde ? Les déclarations officielles évoquent une « rationalisation des dépenses publiques », mais les sous-entendus politiques ne sont pas absents. À quelques mois de la fin de la législature, ce nettoyage des effectifs pourrait bien servir à la fois de démonstration de rigueur managériale et de préparation stratégique pour les futurs équilibres parlementaires.
Le choix de confier cette mission sensible à une commission interne plutôt qu’à un organe indépendant suscite par ailleurs des réserves. Si Didier Molisho promet des « solutions pour améliorer les conditions de travail », certains observateurs s’interrogent sur la capacité d’autoréformation d’une institution régulièrement épinglée pour ses dysfonctionnements. La crédibilité de l’opération reposera en grande partie sur la publication – ou non – des résultats détaillés, véritable test de transparence pour une chambre parlementaire souvent perçue comme un cercle fermé.
Cette initiative s’inscrit dans un contexte national où la chasse aux agents fictifs devient un leitmotiv gouvernemental, mais dont les résultats concrets peinent à convaincre. Le Sénat parviendra-t-il à montrer l’exemple où deviendra-t-il le symbole des limites de ces réformes cosmétiques ? La réponse se nichera dans les détails techniques : mécanismes de vérification biométrique, croisement des données administratives et financières, traitement des cas litigieux. Autant d’étapes où le diable se cache, et où les bonnes intentions risquent de se heurter aux réseaux d’intérêts établis.
À l’heure où les partenaires techniques réclament plus de transparence dans la gestion des fonds publics, cette opération pourrait redéfinir les rapports entre le Parlement congolais et ses bailleurs. Mais gare aux effets d’annonce : le véritable enjeu réside moins dans le nombre de fictifs démasqués que dans l’instauration durable de mécanismes de contrôle préventif. Le questeur Mukengeshayi en a-t-il conscience lorsqu’il évoque une « vue précise » sur les effectifs ? L’avenir dira si cette campagne marque un tournant managérial ou reste un épisode isolé dans les chroniques administratives congolaises.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net