Dans les ruelles poussiéreuses de Cité Belge et Résidentiel à Beni, le portage de bidons jaunes est devenu une routine épuisante. « Je marche trois kilomètres chaque matin avant le lever du soleil. Parfois, je reviens avec la moitié de mon seau, surtout quand la source est prise d’assaut », confie Mama Kahindo, mère de six enfants. Cette réalité, partagée par des milliers d’habitants de ces quartiers de la commune de Bungulu, vient de connaître un tournant inédit : l’hôpital général de référence de Beni ouvre les vannes de son forage d’eau potable à la population.
Le Dr Jérémie Muhindo, médecin directeur de l’établissement, a officialisé cette décision mardi 6 mai. Un geste qui résonne comme une bouffée d’oxygène dans une région marquée par des décennies de conflits armés. « Ce projet n’est pas qu’une question de tuyaux et de réservoirs. C’est un acte de résistance face à la précarité qui mine notre communauté », déclare-t-il, les yeux rivés sur les travaux d’installation des canalisations.
Le forage en construction promet une révolution hydrique : 25 000 litres/heure, de quoi alimenter l’hôpital et ses voisins immédiats. Une manne dans une ville où, selon l’ONG Hydrate Congo, 65% des ménages dépendent de sources non traitées. « La guerre a détruit nos infrastructures. Aujourd’hui, chaque goutte compte », insiste un ingénieur du projet, montrant le réseau de conduites qui s’étend vers les premières habitations.
Derrière cette initiative se cachent des enjeux complexes. Comment une région riche en cours d’eau souffre-t-elle de pénurie chronique ? Les réponses se nichent dans un cocktail explosif : urbanisation anarchique, maintenance défaillante des réseaux coloniaux, et insécurité persistante dans le territoire de Beni. « Les groupes armés sabotent régulièrement les installations », déplore un agent local de la REGIDESO, sous couvert d’anonymat.
Le choix des quartiers bénéficiaires n’est pas anodin. Cité Belge et Résidentiel, bastions populaires en périphérie du centre-ville, symbolisent les fractures spatiales d’une agglomération en croissance rapide. « L’eau coule à flots dans le centre administratif, mais nous, on se bat pour un seau », proteste un jeune habitant, montrant du doigt les buildings climatisés de la ville haute.
Ce partage inédit entre un hôpital public et des citoyens interroge. Jusqu’où les institutions peuvent-elles pallier les carences de l’État ? « Nous assumons notre rôle social, mais c’est un pis-aller », tempère le Dr Muhindo. En effet, le forage hospitalier ne couvrira qu’un tiers des besoins estimés des deux quartiers. De nombreux défis persistent : tarification équitable, entretien du réseau, risques de détournements…
Pourtant, l’espoir est palpable. Devant le chantier, des femmes dansent en balançant leurs récipients vides. « Enfin, nos enfants ne manqueront plus l’école pour aller chercher de l’eau ! », s’exclame l’une d’elles. Un soulagement mesuré : dans le Nord-Kivu, seulement 42% de la population a accès à l’eau potable selon le dernier rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).
Cette solidarité hydrique pose une question cruciale : et si les solutions durables passaient par des alliances inédites entre services publics et communautés ? Alors que Beni tente de panser ses plaies, chaque goutte partagée devient un symbole de résilience. Mais jusqu’à quand les initiatives locales devront-elles compenser les défaillances structurelles ? L’urgence reste entière : transformer cet élan de solidarité en politique nationale efficace.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
