Les motards slaloment entre les flaques d’eau boueuse, leurs visages crispés par l’effort. Sur l’avenue Libération à Selembao, chaque passage de véhicule déclenche une gerbe d’eau stagnante qui éclabousse les passants. « Hier soir, j’ai cru que mon taxi allait se briser en deux », témoigne Arsène, chauffeur de taxi depuis quinze ans, en désignant le cratère qui dévore progressivement la chaussée. Une image qui résume le calvaire quotidien des Kinois face à des infrastructures routières en déliquescence.
La récente averse du jeudi 1er mai 2025 a transformé ce tronçon stratégique en paysage lunaire. Le nid-de-poule géant – profond de près d’un mètre – agit comme une métaphore des défis urbains de Kinshasa. Les commerçants alentour racontent des scènes surréalistes : « Des camions restent coincés des heures, les livraisons n’arrivent plus, même les ambulances doivent faire demi-tour », soupire Mama Nelly, vendeuse de charbon depuis vingt ans sur ce carrefour.
Derrière ce drame routier se cache une réalité plus amère. Ce secteur souffre d’un abandon chronique : « Les premiers nids-de-poule sont apparus il y a trois ans », se souvient un habitant du quartier Mososo. Les travaux de rafistolage effectués en 2023 n’ont servi qu’à retarder l’inévitable. Une question brûle les lèvres : jusqu’à quand les habitants devront-ils payer le prix de cette incurie administrative ?
Les conséquences sociales s’accumulent comme les couches de détritus dans les caniveaux obstrués. Le coût économique est tangible : « Mes clients préfèrent maintenant marcher 2 km plutôt que de payer 2000 francs pour un trajet de cinq minutes », déplore un motard sous couvert d’anonymat. Les écoles environnantes enregistrent des retards massifs, tandis que les prix des denrées flambent avec la difficulté d’approvisionnement.
Face à cette urgence, les appels se multiplient vers le gouvernorat. « Nous avons alerté la division provinciale des routes dès février », affirme un leader communautaire, montrant des pétitions jaunies par le temps. Pourtant, les engins de chantier brillent par leur absence. Cette inertie pose crûment la question de la priorisation des chantiers publics dans une mégapole où 70% des routes seraient dans un état critique selon un récent rapport de la société civile.
En attendant des solutions durables, des initiatives citoyennes émercent. Des jeunes du quartier comblent les trous avec des gravats, tandis que des riverains ont installé des balises artisanales. « C’est notre contribution pour éviter des accidents mortels », explique fièrement Luc, étudiant en génie civil. Une résilience touchante qui ne doit pourtant pas servir d’alibi à l’inaction des pouvoirs publics.
Cette crise locale reflète un enjeu national : comment concilier croissance démographique galopante et maintenance des infrastructures vitales ? Alors que la RDC s’apprête à lancer de grands projets structurants, l’avenue Libération rappelle cruellement que le développement commence par l’entretien du quotidien. À quand une véritable politique de maintenance préventive qui anticipe plutôt qu’elle ne répare ?
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: mediacongo.net