Alors qu’une publication virale affirmait début avril que la consommation de manioc rendrait « bête », l’Université de Kinshasa (UNIKIN) a pris le contre-pied en organisant une conférence-débat pour démêler le vrai du faux. Entre mythes tenaces et réalités scientifiques, cet aliment de base en République Démocratique du Congo (RDC) soulève des questions cruciales sur la sécurité alimentaire et les pratiques culinaires.
« Le manioc est-il un poison lent ou un trésor nutritionnel méconnu ? » Cette question, posée en filigrane durant la conférence du 29 avril, résume l’ambivalence des débats. Le professeur Daniel Okitundu, médecin au Centre neuro-psycho-pathologique, a rappelé un paradoxe : si les feuilles de manioc regorgent d’antioxydants bénéfiques pour le cerveau, une préparation inadéquate du tubercule – surtout en période de crise – peut provoquer des neuropathies graves. Un avertissement qui résonne dans un pays où près de 70% de la population consomme régulièrement du manioc, selon des données du Programme Alimentaire Mondial.
Mais alors, faut-il bannir cet aliment des assiettes congolaises ? La réponse des experts est nuancée. Depuis le Cameroun, le professeur Doha a insisté sur les risques professionnels : « Les travailleurs exposés quotidiennement au manioc amer sans protection développent parfois des pathologies comme la paraparésie. » Un danger qui concerne surtout les producteurs et transformateurs artisanaux, soulignant l’urgence de normes sanitaires dans la filière.
Face à ces risques, la RDC dispose pourtant d’un savoir-faire ancestral. Marie Claire Yandju Dembo, Secrétaire générale à la recherche de l’UNIKIN, a défendu les techniques traditionnelles de détoxication : « La fermentation ou le trempage prolongé permettent de neutraliser jusqu’à 90% du cyanure présent même dans le manioc doux. » Une pratique qui contraste avec certains pays voisins où le manioc est majoritairement destiné au bétail…
Au-delà des enjeux sanitaires, le débat a révélé le potentiel économique sous-exploité de cette culture. Saviez-vous que le Ghana produit déjà du biocarburant à base de manioc ? Ou que sa farine pourrait réduire la dépendance de la RDC aux importations de blé ? « Avec un traitement industriel approprié, le manioc deviendrait un pilier de notre souveraineté alimentaire », a plaidé Mme Yandju, appelant à investir dans la recherche agroalimentaire.
Dans l’assistance, les étudiants semblaient convaincus. « Maintenant, je saurai mieux conseiller ma mère sur la préparation du foufou », confie Buhek Hyoja, étudiante en biologie. Son camarade Gabriel Ngoyi ajoute : « Ce débat montre qu’il faut valoriser notre patrimoine culinaire tout en l’adaptant aux standards scientifiques. »
Reste une question essentielle : comment concilier traditions et modernité dans un contexte où 45% des Congolais vivent en milieu rural, selon la Banque Mondiale ? Les experts insistent sur l’éducation populaire – via des campagnes en langues locales – et le soutien aux petites entreprises de transformation. Car comme le rappelle le professeur Okitundu : « C’est dans les périodes de précarité, quand les techniques traditionnelles sont bâclées, que le danger guette. »
Alors que la RDC rêve d’industrialisation, le manioc pourrait bien devenir le symbole d’une transition réussie… à condition que science et savoirs ancestraux dialoguent enfin.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Actualite.cd
