Dans un développement judiciaire sans précédent, la Haute Cour militaire de la République démocratique du Congo a initié une procédure visant à traduire Joseph Kabila Kabange, ancien Président de la République et sénateur à vie, devant la justice. Les charges retenues incluent la trahison, la participation à un mouvement insurrectionnel, ainsi que des crimes de guerre et crimes contre l’humanité. L’annonce officielle, faite ce mercredi 30 avril par le ministre de la Justice Constant Mutamba, marque un tournant dans le paysage judiciaire congolais.
Selon les éléments divulgués, l’auditeur général des Forces armées de la RDC (FARDC) a déposé un réquisitoire auprès du bureau du Sénat. Ce document réclame non seulement l’autorisation d’engager des poursuites, mais également la levée de l’immunité parlementaire du sénateur à vie. Une démarche qui s’appuie explicitement sur les articles 104, 107 et 153 de la Constitution congolaise, relatifs aux immunités et aux procédures exceptionnelles applicables aux hautes autorités de l’État.
« La justice agit strictement dans le cadre de ses attributions légales », a souligné Constant Mutamba lors d’une déclaration solennelle. « Il ne s’agit pas de poursuivre un ancien Chef d’État, mais un sénateur dont les actes présumés violent gravement les principes constitutionnels et le droit international ». Le ministre a par ailleurs insisté sur la nécessité d’« éclairer l’opinion publique quant aux massacres perpétrés dans l’Est du pays », faisant référence aux groupes armés M23 et AFC, dont Joseph Kabila serait cofondateur selon l’acte d’accusation.
La procédure enclenchée repose sur une mécanique institutionnelle complexe. Le Sénat dispose désormais d’un délai indéterminé pour statuer sur la levée d’immunité – une décision qui nécessitera un vote à la majorité qualifiée. Si l’autorisation est accordée, le dossier sera transféré à la Haute Cour militaire, seule habilitée à juger les infractions impliquant des membres des forces de sécurité ou des personnalités bénéficiant de privilèges juridictionnels spéciaux.
Les charges détaillées dans le réquisitoire restent partiellement couvertes par le secret d’instruction. Toutefois, des sources judiciaires évoquent des éléments liés au financement présumé de milices actives dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, ainsi qu’à des allégations de complicité dans des exactions systématiques contre des civils entre 2012 et 2019. La qualification de « crime contre l’humanité » suggère que les magistrats militaires disposeraient de preuves attestant d’attaques généralisées ou planifiées contre des populations non combattantes.
Cette initiative s’inscrit dans un contexte politique volatile, où les tensions entre la majorité présidentielle et l’opposition historiquement liée à l’ancien chef de l’État atteignent un paroxysme. Certains observateurs s’interrogent : cette procédure marque-t-elle l’avènement d’une justice indépendante ou instrumentalise-t-elle l’appareil judiciaire à des fins de règlement de comptes ?
À ce stade, aucune réaction officielle n’a été émise par Joseph Kabila ou son entourage. Ses avocats historiques, habitués à défendre ses intérêts dans des dossiers sensibles, pourraient contester la recevabilité de la procédure en invoquant des vices de forme ou des présomptions d’incompétence territoriale de la juridiction militaire.
La suite des événements dépendra largement de la réaction du Sénat, institution dominée par des figures politiques proches de l’ancien régime. Si la levée d’immunité est refusée, le dossier risquerait de s’enliser dans des batailles procédurales. Dans le cas contraire, la RDC assisterait au premier procès d’un ancien président encore en activité politique – un précédent dans l’histoire judiciaire postcoloniale du continent africain.
Article Ecrit par Cédric Botela
Source: radiookapi.net