Portant un panier de pommes de terre et de bananes plantain sur la tête, et tenant un sac avec deux poules, Aline Chirabagula Tumsifu arpente les allées du marché de Kahembe. Son visage sourit à l’approche du Nouvel An 2025, mais ses yeux trahissent la fatigue d’une année de lutte. « Cette année n’a pas été facile, confie-t-elle. Mais avec mon mari, nous avons décidé de trouver de quoi fêter avec les enfants. » Comme elle, des milliers d’habitants de Goma tentent, dans un élan de résilience poignant, de préparer les fêtes malgré l’emprise des rebelles de l’AFC/M23 et une crise économique étouffante.
Deux jours avant le réveillon, les artères commerciales de la ville grouillent d’une animation inhabituelle. Au marché Birere à Goma, épicentre des approvisionnements, la foule se presse entre les étals. Les parents cherchent des vêtements neufs pour leurs enfants, les ménagères comparent les prix des denrées. Pourtant, derrière cette effervescence de surface, un malaise persiste. « Les gens sont nombreux, mais beaucoup ne font que regarder, constate Francine Mwenyemali, vendeuse dans une boutique de produits vivriers. Depuis le matin, j’ai à peine cinq clients. Certains hésitent après avoir entendu les prix. » La résilience des habitants de Goma se heurte à une dure réalité : l’argent manque cruellement dans les poches.
Comment expliquer cette paralysie du pouvoir d’achat en cette période de fêtes ? La réponse se niche dans les bouleversements profonds qu’a connus la capitale du Nord-Kivu. Depuis la prise de la ville par les rebelles AFC/M23 en janvier 2025, Goma vit au ralenti. La fermeture des banques et de l’aéroport international a asphyxié l’économie locale, coupant net les liquidités et plongeant de nombreuses familles dans la précarité. « Plusieurs personnes ont perdu leurs activités depuis le début de cette crise », soupire Evelyne Musemakweli, rencontrée au marché Alanine. Même la baisse des prix – le kilo de pommes de terre est passé de 1200 à 800 francs – ne suffit pas à stimuler les ventes. La crise économique à Goma frappe de plein fouet les ménages, rendant chaque achat un calcul douloureux.
Pourtant, une lueur d’espoir, ténue, perce cette grisaille. Le gouvernement de Kinshasa a procédé au paiement de certains fonctionnaires, permettant à quelques familles de respirer. Aux points de transaction d’argent, des queues se forment, et une timide reprise des échanges commerciaux se dessine. Est-ce le signe d’un redémarrage ? Rien n’est moins sûr. Car l’ombre des rebelles AFC/M23 plane toujours, rappelant que la sécurité reste précaire et que l’avenir est incertain. La résilience des habitants est mise à l’épreuve chaque jour, entre la volonté de vivre normalement et la dure loi de la survie.
Au-delà des achats de dernière minute et des sourires forcés, que célèbre-t-on réellement à Goma ce Nouvel An 2025 ? Peut-être simplement le fait d’être encore debout. Chaque poule achetée, chaque robe neuve, chaque repas préparé est un acte de résistance contre l’adversité. Aline, Francine, Evelyne et tant d’autres incarnent cette force tranquille d’une population qui refuse d’abdiquer. Le marché Birere, symbole de cette vitalité tenace, bruisse autant d’espoirs que de craintes. La fête sera modeste, certes, mais elle aura lieu. Parce qu’au cœur de la crise, la vie, entêtée, réclame ses droits.
La situation à Goma interroge sur la capacité des communautés à maintenir un lien social et une normalité face à l’instabilité. Les enjeux sont immenses : préserver l’économie locale, assurer la sécurité alimentaire, et surtout, garder vivant l’espoir d’un retour à la paix. Les préparatifs du Nouvel An, bien que teintés de difficultés, sont un témoignage puissant de cette résilience humaine qui, en République Démocratique du Congo, écrit quotidiennement son histoire de lutte et de dignité.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
