La semaine dernière a été marquée par deux tempêtes médiatiques qui ont secoué la scène politique congolaise, mettant à l’épreuve la communication gouvernementale et les relations internationales de la République Démocratique du Congo. D’un côté, la suspension du général Sylvain Ekenge, porte-parole des Forces armées, pour des propos jugés discriminatoires envers la communauté tutsie ; de l’autre, la ferme réaction du porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, aux déclarations de Mgr Fulgence Muteba, président de la CENCO, sur l’accord de partenariat stratégique entre Washington et Kinshasa. Deux événements qui, à première vue distincts, révèlent les défis auxquels fait face l’administration Tshisekedi dans la gestion de son image et de sa crédibilité.
La suspension du général-major Sylvain Ekenge par le Chef d’état-major général des FARDC intervient dans un contexte régional particulièrement sensible. Les propos tenus sur la RTNC samedi dernier, où l’officier évoquait un prétendu stratagème des femmes tutsies pour maintenir une « suprématie » démographique, ont non seulement heurté une communauté congolaise, mais ont aussi été immédiatement instrumentalisés par Kigali. Comment Kinshasa peut-il prétendre à une unité nationale face à l’ennemi extérieur lorsque ses propres porte-parole alimentent des stéréotypes ethniques ? La décision de suspendre Ekenge semble être un geste nécessaire pour limiter les dégâts diplomatiques, mais elle interroge sur les contrôles en amont au sein de l’appareil militaire.
Cette affaire dépasse la simple sanction disciplinaire. Elle témoigne des fractures persistantes au sein des FARDC et de la difficulté à imposer une ligne communicationnelle cohérente dans un environnement conflictuel. Le général Ekenge, en tenant ces propos, a involontairement offert une arme de propagande au Rwanda, qui n’a pas manqué de s’en servir pour dépeindre la RDC comme un État discriminatoire. Le président Tshisekedi, qui a fait de la lutte contre les divisions ethniques un cheval de bataille, se trouve ainsi contraint de gérer une crise qui ternit son discours inclusif. La suspension, si elle est une réponse rapide, suffira-t-elle à restaurer la confiance des communautés concernées et à apaiser les tensions régionales ?
Parallèlement, une autre polémique éclate sur un front différent : celui de la diplomatie économique. Mgr Fulgence Muteba, archevêque de Lubumbashi et président de la CENCO, a utilisé son homélie de la Nativité pour dénoncer l’accord de partenariat stratégique avec les États-Unis, signé sous l’administration Trump. Selon le prélat, cet accord équivaudrait à un bradage des ressources minières pour une durée de 99 ans, compromettant l’avenir des générations futures. Des accusations graves, qui touchent au cœur de la souveraineté nationale et qui ont immédiatement provoqué la réaction de Patrick Muyaya.
Le porte-parole du gouvernement est monté au créneau pour démonter point par point les allégations de Mgr Muteba. Dans une intervention ferme et détaillée, le ministre a qualifié les déclarations de Mgr Fulgence Muteba de « factuellement fausses ». Il a précisé qu’aucune clause de l’accord ne mentionne une durée de 99 ans, ni une cession de souveraineté ou un bradage des mines. Bien au contraire, a-t-il souligné, le partenariat est basé sur des principes gagnant-gagnant, où l’État congolais conserve l’intégralité de ses prérogatives et le droit de refuser toute proposition contraire à l’intérêt national. Muyaya a ainsi tenté de rassurer l’opinion publique, mais le mal était peut-être déjà fait.
Cette confrontation entre le gouvernement et un membre éminent de l’Église catholique, institution influente en RDC, n’est pas anodine. Elle révèle les méfiances persistantes quant aux engagements internationaux du pays et la difficulté du gouvernement à communiquer efficacement sur des dossiers sensibles. L’accord Washington-Kinshasa, perçu par certains comme une opportunité de développement, est vu par d’autres comme un piège néocolonial. La sortie de Mgr Muteba, même inexacte, reflète une anxiété populaire que les autorités doivent prendre en compte. Le gouvernement joue gros sur ce dossier : un échec à convaincre de la transparence et du bénéfice national pourrait fragiliser sa légitimité, déjà éprouvée par les défis sécuritaires et économiques.
En définitive, ces deux épisodes mettent en lumière les écueils de la communication d’État en période de crise. D’un côté, une parole militaire débridée qui menace la cohésion sociale et les relations régionales ; de l’autre, une méfiance institutionnelle qui obscurcit les perspectives de coopération internationale. Le président Tshisekedi et son équipe devront, dans les prochains mois, resserrer les rangs et imposer une narrative claire et unifiée. La suspension d’Ekenge est un premier pas, mais elle doit s’accompagner d’une réflexion profonde sur la formation et le contrôle des porte-parole officiels. De même, la clarification sur l’accord avec les États-Unis doit être continue et proactive, pour éviter que des informations erronées ne sapent la confiance des citoyens et des partenaires.
Les prochains enjeux seront donc doubles : restaurer une discipline communicationnelle au sein des institutions, notamment militaires, et engager un dialogue constructif avec les acteurs sociaux, comme l’Église, pour bâtir un consensus sur les orientations stratégiques du pays. La crédibilité du gouvernement en dépend, et avec elle, la capacité de la RDC à naviguer dans un environnement géopolitique complexe.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
