La semaine politique en République démocratique du Congo s’ouvre sur deux séismes, l’un institutionnel, l’autre diplomatique, révélateurs des fractures qui traversent le pays. D’un côté, l’armée congolaise, pilier de l’État, est contrainte de suspendre son propre porte-parole pour des dérapages verbaux aux relents ethniques. De l’autre, la plus haute autorité morale du pays, l’Église catholique, se heurte frontalement au gouvernement sur l’interprétation d’un accord international stratégique. Deux crises en miroir qui interrogent la cohésion nationale et la maîtrise du narratif par les autorités de Kinshasa.
La sanction tombée ce lundi 29 décembre à l’encontre du général-major Sylvain Ekenge, porte-parole des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), n’est pas une simple mesure disciplinaire. Elle symbolise la gestion périlleuse d’un discours officiel en temps de conflit. Suspendu par le Chef d’état-major général pour des propos jugés discriminatoires envers la communauté tutsie, l’officier a, par ses déclarations sur la Radiotélévision nationale congolaise (RTNC), offert un cadeau empoisonné à l’adversaire rwandais. Ses allégations controversées, évoquant un prétendu « stratagème » démographique, ont en effet été immédiatement instrumentalisées par Kigali, ternissant l’image de la RDC sur la scène régionale et alimentant la propagande ennemie. Le président Félix Tshisekedi, qui a fait de la lutte contre les discriminations un marqueur de son mandat, se retrouve ainsi piégé par les paroles de son propre armée. Cette suspension du général Sylvain Ekenge démontre-t-elle une réelle volonté d’épurer le discours militaire, ou n’est-elle qu’un cautère sur une jambe de bois, une réaction tardive face à un dommage déjà causé ?
Dans le même temps, une autre bataille, celle de la narration, fait rage sur le front diplomatique. Les propos discriminatoires ne sont pas les seuls à créer la polémique. L’homélie de Mgr Fulgence Muteba Mugalu, président de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et archevêque de Lubumbashi, a mis le feu aux poudres. En qualifiant le partenariat stratégique entre Washington et Kinshasa de « bradage » des ressources pour 99 ans, compromettant l’avenir des générations futures, le prélat a touché une corde ultra-sensible : la souveraineté nationale. La réaction du gouvernement, par la voix énergique de son porte-parole Patrick Muyaya, a été immédiate et sans appel. Les affirmations de Mgr Muteba sont « factuellement fausses », a-t-il martelé, dénonçant une désinformation aux conséquences potentiellement graves. Il n’existerait, selon le ministre, « ni accord de 99 ans, ni bradage, ni cession de souveraineté », mais un simple cadre de principes pour un partenariat « gagnant-gagnant ». Qui dit vrai ? Cette passe d’armes entre le spirituel et le temporel révèle un profond malaise : la défiance d’une partie du clergé, traditionnel gardien de la conscience nationale, face aux orientations géostratégiques du pouvoir.
La réaction de Patrick Muyaya et du gouvernement est un exercice de contre-feu médiatique classique, mais son intensité montre l’importance de l’enjeu. L’accord Washington Kinshasa est un élément clé de la diplomatie du président Tshisekedi, visant à ancrer la RDC dans l’orbite américaine pour contrebalancer les influences régionales. Le voir attaqué par la CENCO, institution dont le crédit moral reste immense dans la population, constitue un revers sérieux. Le gouvernement joue donc sa crédibilité en tentant de « démonter les fake news », pour reprendre l’expression d’un média. Cependant, la virulence de la réponse officielle, contrastant avec le silence habituel face à d’autres critiques, trahit une certaine nervosité. La réplique de Mgr Fulgence Muteba CENCO a-t-elle touché un point faible du dossier, ou s’agit-il simplement d’un malentendu sur un texte juridique complexe ?
Au final, ces deux affaires en apparence distinctes tissent une même toile de fond : celle d’un État congolais en lutte pour le contrôle de son récit, tant sur le plan interne qu’international. L’armée doit canaliser un discours patriotique qui, sous la pression du conflit, bascule parfois dans le poison ethnique. Le gouvernement doit défendre ses choix diplomatiques face à une autorité morale qui se pose en rempart de l’intérêt national à long terme. Dans les deux cas, le pouvoir exécutif est mis en difficulté par des paroles qui échappent à son contrôle immédiat – celles d’un général sur un plateau télé et celles d’un évêque en chaire. La sanction contre Ekenge et la charge contre Muteba sont des tentatives de reprendre la main. Mais elles soulèvent une question plus vaste : dans un pays aussi complexe que la RDC, marqué par les conflits et les convoitises, la maîtrise de la parole publique est-elle encore possible, ou est-elle condamnée à être un éternel champ de bataille ? Les prochains jours diront si ces réactions fermes suffiront à apaiser les tensions ou si elles ne font que préparer le terrain pour de nouvelles polémiques.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
