Les autorités de la République Démocratique du Congo ont dû, ce lundi 29 décembre, gérer simultanément deux crises de communication aux implications politiques diamétralement opposées. D’un côté, une parole militaire dérapante, sévèrement sanctionnée ; de l’autre, une parole religieuse contestataire, fermement démentie. Cette dualité révèle les lignes de faille sur lesquelles se joue la construction du récit national dans un contexte de tensions régionales persistantes. La suspension du général Sylvain Ekenge, porte-parole des Forces armées, pour des propos discriminatoires envers la communauté Tutsi, agit comme un coup de semonce, rappelant la ligne rouge tracée par le pouvoir en matière d’unité nationale. Pendant ce temps, la sortie du ministre Patrick Muyaya, démontant point par point les affirmations de Mgr Fulgence Muteba sur l’accord Washington Kinshasa, illustre la défense acharnée d’une narration officielle jugée stratégique.
Le limogeage du général-major Sylvain Ekenge par le Chef d’état-major général des FARDC ne constitue pas une simple mesure disciplinaire de routine. Il s’agit d’une réaction rapide et publique à des déclarations tenues sur la Radiotélévision nationale congolaise (RTNC), devenue une caisse de résonance embarrassante. Les propos du porte-parole, évoquant un prétendu « stratagème » démographique au sein de la communauté tutsie, ont immédiatement dépassé les frontières, offrant, selon des sources officielles citées par la presse, « un argument facile » aux autorités rwandaises dans le cadre du conflit latent entre Kinshasa et Kigali. Le gouvernement du président Félix Tshisekedi pouvait-il se permettre un tel cadeau à l’adversaire ? La réponse, par la sanction immédiate, est un non retentissant. Cette décision envoie un message clair tant à l’intérieur de l’armée qu’à la communauté internationale : les discours divisifs, surtout lorsqu’ils émanent d’un haut gradé, sont intolérables et contre-productifs dans le cadre de la guerre à l’Est. Le président, qui a fait de la lutte contre les discriminations un leitmotiv, joue ici sa crédibilité sur la scène régionale.
Mais cette affaire soulève des questions plus profondes sur les mécanismes de contrôle de la parole au sein de l’appareil d’État. Comment des propos aussi controversés ont-ils pu passer le filtre d’une interview à la télévision d’État ? L’épisode révèle-t-il des courants de pensée persistants au sein de l’institution militaire, ou n’est-il que la maladresse isolée d’un porte-parole ? La rapidité de la sanction vise sans doute à étouffer dans l’œuf toute polémique et à reprendre la main sur le narratif. Pourtant, le mal est fait. Les réseaux sociaux et certains médias régionaux se sont déjà emparés de l’affaire, utilisant ces déclarations pour alimenter le discours sur les tensions ethniques en RDC. L’efficacité de la mesure de suspension sera donc jugée à l’aune de sa capacité à empêcher la récupération politique durable de ces propos.
Sur un front totalement différent mais tout aussi sensible, le gouvernement a dû mobiliser son porte-parole, Patrick Muyaya, pour contrer une autre narration jugée dangereuse : celle portée par le président de la CENCO, Mgr Fulgence Muteba Mugalu. Dans son homélie de Noël, l’archevêque de Lubumbashi a évoqué un prétendu « bradage » des ressources minières du pays au profit des États-Unis, dans le cadre d’un accord de partenariat stratégique d’une durée de 99 ans. Des accusations graves, touchant au cœur de la souveraineté nationale et des enjeux économiques futurs. La réponse de Patrick Muyaya a été cinglante et sans appel, qualifiant les propos de Mgr Muteba de « factuellement faux ». Le ministre a pris soin de déconstruire méthodiquement chaque point : pas de durée de 99 ans mentionnée, pas de cession de souveraineté, pas de bradage des mines. L’accord, a-t-il rappelé, repose sur des principes de partenariat « gagnant-gagnant » et préserve les prérogatives de l’État congolais.
Cet échange vif entre le gouvernement et une figure morale de premier plan, l’Église catholique, est lourd de signification. Pourquoi une telle virulence dans la réplique gouvernementale ? L’enjeu dépasse la simple correction d’une information erronée. Il s’agit de défendre la crédibilité d’un accord présenté comme un pivot stratégique de la politique étrangère de Kinshasa et de l’administration Tshisekedi. Laisser sans réponse les critiques d’un prélat aussi respecté que Mgr Fulgence Muteba aurait pu légitimer les craintes d’une partie de l’opinion publique et de la classe politique sur les véritables tenants et aboutissants du partenariat avec Washington. En s’attaquant frontalement à la « fausse vérité » de l’archevêque, le gouvernement tente de reprendre le contrôle exclusif du récit autour de cet accord, un récit qu’il veut rassurant et tourné vers le développement.
Ces deux épisodes, apparemment disjoints, forment en réalité les deux faces d’une même médaille : la bataille pour la maîtrise de l’information et du discours public en RDC. D’un côté, le pouvoir réprime une parole intérieure jugée nuisible à l’unité et à l’image du pays. De l’autre, il combat une parole extérieure (même venant de l’intérieur) qu’il estime nuisible à sa stratégie et à sa souveraineté narrative. Cette gestion en miroir révèle une approche pragmatique, voire défensive, de la communication d’État. Le gouvernement tshisekediste semble dire : il y a des lignes à ne pas franchir dans le discours sur la cohésion nationale, et il y a des vérités officielles à ne pas contester sans preuve. Cette semaine de turbulences médiatiques pose inévitablement la question de l’équilibre entre le contrôle nécessaire du récit national et l’espace indispensable au débat démocratique. À l’approche d’échéances politiques cruciales, la capacité des autorités à maintenir ce fragile équilibre sera un élément clé de leur stabilité.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
