« Nous n’allons pas refuser la présence des policiers, mais nous voulons qu’ils jouent leur vrai rôle : nous protéger. » La déclaration de Joseph Sabuni, président de la société civile de la commune de Mulekera, résume le fragile équilibre recherché dans le quartier Kuka, à Beni. Samedi, une journée de réflexion et une tribune d’expression populaire ont tenté de panser les plaies ouvertes par une série d’altercations violentes entre habitants et forces de l’ordre. Des blessés sont à déplorer, et une méfiance profonde s’est installée. Comment en est-on arrivé là ? Un simple projet d’implantation d’une station de police a mis le feu aux poudres, révélant une fracture dangereuse entre ceux qui sont censés sécuriser et ceux qui se sentent menacés.
Le quartier Kuka vit depuis des semaines dans une tension palpable. Le déploiement de troupes de police dans les trente quartiers de Beni, une initiative visant à renforcer la sécurité, a tourné au cauchemar dans cette zone. La population, loin de voir en eux des protecteurs, les accuse d’être à l’origine de l’insécurité. Les récits font froid dans le dos : extorsions, incursions nocturnes dans les habitations, violences. Ces actes, attribués à des individus en uniforme, ont transformé la peur des groupes armés en une méfiance aiguë envers les services de l’ordre eux-mêmes. La proposition d’installer une station de police localement a été le catalyseur d’un rejet catégorique, exprimé dans la rue avec force.
Face à cette crise, la société civile de Mulekera a pris les devants. Inquiet de voir la situation dégénérer davantage, elle a organisé ce forum inédit. L’objectif ? Réconcilier les différentes couches de la population avec les responsables des services de l’ordre et ouvrir un véritable dialogue communautaire à Beni. Autour de la table, les frustrations ont pu s’exprimer. « Des personnes de mauvaise foi ont intoxiqué les jeunes et provoqué ce que nous avons vécu », analyse Joseph Sabuni, pointant du doigt la manipulation qui a exacerbé les tensions. Mais au-delà des accusations, cette tribune d’expression populaire a permis de poser les bases d’une recherche de paix.
Les pistes de solutions évoquées sont concrètes. La population, représentée par sa société civile, ne demande pas le départ des forces de l’ordre. Au contraire, elle appelle à leur implication responsable. Le compromis trouvé est subtil : une deuxième rencontre avec les autorités est prévue pour définir les modalités d’une implantation acceptable de la police. L’accent est mis sur la formation, le comportement des agents et un mécanisme de redevabilité clair. Il s’agit de transformer une présence perçue comme hostile en un bouclier légitime pour les civils et leurs biens. La sécurité à Mulekera et dans tout le Nord-Kivu passe nécessairement par cette confiance à reconstruire.
Cet incident à Kuka est un microcosme des défis sécuritaires complexes de la région. La lutte contre l’insécurité peut-elle être efficace si ceux qui doivent la mener sont perçus comme une partie du problème ? La question est cruciale. Le travail de la société civile Beni, en initiant ce dialogue, est fondamental. Elle joue un rôle de médiateur essentiel, rappelant que la paix à Beni ne se décrète pas, mais se construit avec la population. L’appel lancé samedi est autant adressé aux civils, pour qu’ils coopèrent, qu’aux forces de défense et de sécurité, pour qu’elles regagnent leur honneur par une conduite irréprochable.
Les blessures de Kuka mettent en lumière un enjeu sociétal majeur : la relation entre l’État et ses citoyens. Quand la police, bras armé de l’autorité publique, devient source de crainte, le contrat social se fissure. L’initiative de Mulekera, aussi locale soit-elle, offre une leçon précieuse. Elle montre que même dans un climat de défiance, le dialogue communautaire reste l’outil le plus puissant pour désamorcer les conflits et recoller les morceaux d’une communauté fragmentée. La route vers une paix durable dans le Nord-Kivu est semée d’embûches, mais elle commence par des conversations courageuses comme celle-ci, où l’on ose confronter les peurs pour bâtir ensemble un avenir plus sûr.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
