Dans les rues animées de Matadi, l’annonce a fait l’effet d’une douche froide. « C’est comme si on voulait éteindre la joie de Noël avant même qu’elle n’arrive », lâche, désabusé, Jean-Pierre, un vendeur de pétards dont le petit commerce familial risque de tourner au ralenti. Comme lui, des centaines de familles et d’organisateurs d’événements se demandent comment célébrer la nouvelle année 2026. La décision du maire Dominique Nkodia Mbete, tombée comme un couperet mercredi 24 décembre, interdit en effet toute manifestation publique et l’usage des pétards avant, pendant et après les festivités de fin d’année 2025, et ce « jusqu’à nouvel ordre ». Une mesure radicale qui place la sécurité des fêtes de fin d’année 2025 au cœur des préoccupations des autorités du Kongo-Central.
Cette interdiction des manifestations à Matadi ne sort pas de nulle part. Elle s’inscrit dans le cadre strict des instructions venues des plus hautes sphères de l’État. Le communiqué municipal fait explicitement référence aux directives du gouverneur de province, Grâce Nkuanga Masuangi Bilolo, et du vice-Premier ministre, ministre de l’Intérieur, Jacquemain Shabani Lukoo. Un alignement qui montre à quel point la question de l’ordre public est prise au sérieux en cette période sensible. Les bourgmestres des différentes communes, ainsi que tous les services de sécurité et de maintien de l’ordre, ont reçu l’ordre de veiller à l’application stricte de cette décision du maire de Matadi. La population, quant à elle, est appelée à la coopération pour garantir des célébrations paisibles.
Mais derrière cette volonté affichée de tranquillité, que cache réellement cette interdiction des pétards au Kongo-Central ? Est-ce simplement une question de prévention des accidents, souvent fréquents avec ces artifices bruyants et parfois dangereux ? Ou s’agit-il d’une méfiance plus profonde face aux rassemblements populaires, potentiels vecteurs de désordre ou de revendications ? La ville portuaire de Matadi, vitale pour l’économie nationale, a connu par le passé des tensions sociales. En couvrant une période aussi large « avant, pendant et après » les fêtes, le décret municipal semble vouloir maintenir un couvercle sur toute velléité de débordement, qu’il soit festif ou politique. Cette approche pose inévitablement la question de l’équilibre entre sécurité et libertés publiques dans la région.
Pour les habitants, l’ambivalence est grande. « On comprend qu’il faut de l’ordre, surtout avec tout ce qui se passe dans le pays », confie Marie, une mère de famille rencontrée au marché. « Mais les pétards et les petites fêtes de quartier, c’est aussi une tradition, une façon de se retrouver et d’oublier un peu les difficultés du quotidien. » Cette interdiction des manifestations à Matadi touche en effet à des rituels sociaux ancrés. Les associations de jeunes qui organisaient des galas, les groupes culturels qui préparaient des défilés, se retrouvent désemparés. L’économie informelle, qui fleurit lors de ces événements, va également en pâtir. La mesure, bien qu’axée sur la sécurité des fêtes de fin d’année 2025, a donc un coût social et économique non négligeable pour une population déjà fragilisée.
Les autorités, de leur côté, martèlent le message de la responsabilité. En se plaçant sous l’égide des instructions provinciales et nationales, le maire Nkodia Mbete donne à sa décision un poids considérable. Il s’agit ni plus ni moins d’une application locale d’une politique de sécurité nationale. Cette centralisation des décisions concernant l’ordre public est un phénomène notable dans l’actualité du Kongo-Central. Elle reflète une volonté de contrôle uniforme sur le territoire, où les autorités locales deviennent les relais exécutifs de directives venues de Kinshasa. Une telle approche peut-elle garantir une paix durable, ou risque-t-elle d’attiser les frustrations en étouffant les expressions communautaires légitimes ?
Alors que Matadi se prépare à tourner une page d’année, c’est tout un modèle de célébration et de vie sociale qui est interrogé. La décision du maire de Matadi est un coup d’arrêt qui résonne bien au-delà de la simple interdiction de bruits et de rassemblements. Elle met en lumière les tensions permanentes entre la préservation de l’ordre, une demande légitime des citoyens, et le droit à une vie sociale et culturelle épanouie. Les prochaines semaines, jusqu’à « nouvel ordre », seront un test. Un test de l’efficacité des forces de l’ordre, de la compréhension de la population, mais aussi de la capacité des autorités à proposer des cadres de joie et de partage qui ne soient pas perçus comme une répression. La sécurité pendant les fêtes de fin d’année est un objectif noble, mais sa réalisation ne doit pas signifier l’étouffement de la chaleur humaine qui fait aussi la résilience des Congolais.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
