En cette période de célébrations, le gouverneur militaire Ituri, le général Johnny Luboya N’kashama, a adressé un message de fin d’année à ses administrés, oscillant entre satisfaction affichée et appel solennel à la mobilisation. Un discours qui, sous couvert de vœux festifs, constitue une véritable feuille de route politique et sécuritaire pour une province encore meurtrie. Quelle lecture faut-il faire de ce bilan “globalement positif” dressé sous le régime exceptionnel de l’état de siège Ituri ? L’invitation à l’unité et au patriotisme suffira-t-elle à conjurer les défis profonds qui entravent la région ?
Le général Luboya, par la voix de son porte-parole le lieutenant Jules Ngongo, n’a pas manqué de mettre en avant les « progrès significatifs » enregistrés. La restauration de l’autorité de l’État et le retour « progressif et remarquable » des populations déplacées dans leurs milieux d’origine sont présentés comme les fruits directs de cette mesure controversée, en vigueur depuis maintenant plusieurs années. L’accent est également mis sur la mise en œuvre de projets socio-économiques, un élément clé pour tout processus de stabilisation durable. Ces déclarations officielles esquissent le portrait d’une stratégie qui porterait ses fruits, grâce à la « résilience des hommes en uniforme » et à la collaboration entre forces de sécurité et civils.
Pourtant, derrière ce tableau optimiste, persiste la reconnaissance, même timide, des « défis sécuritaires et humanitaires persistants ». Cette concession, aussi brève soit-elle, agit comme un révélateur des limites de l’action militaire isolée. L’état de siège, conçu comme un remède de choc, parvient-il vraiment à traiter les racines du mal qui ronge l’Ituri ? Les groupes armés, les tensions communautaires et le dénuement économique nécessitent bien plus qu’un déploiement de force ; ils exigent une réponse politique globale et inclusive. Le général Johnny Luboya joue gros en misant sur la continuité d’une approche dont les résultats tangibles en matière de paix développement Ituri restent, pour une partie de la population, à démontrer pleinement.
L’exhortation lancée pour la nouvelle année 2026 sonne comme un aveu implicite. En appelant les Ituriens à « revêtir le sens du patriotisme » et à s’unir autour de l’idéal de paix, le gouverneur militaire semble reconnaître que la clé du succès ne réside pas uniquement dans les casernes. Cet appel à l’« engagement collectif » vise sans doute à créer un front commun, une adhésion populaire qui légitimerait et soutiendrait l’action des autorités. Mais comment susciter cet élan dans un contexte où la confiance entre l’État et les citoyens reste à reconstruire pièce par pièce ? La « cohabitation pacifique » évoquée reste un objectif lointain dans certaines zones où la méfiance est reine.
Le message de Noël Ituri du général Johnny Luboya dépasse ainsi largement le cadre des simples vœux traditionnels. Il s’agit d’un exercice de communication politique à part entière, visant à consolider un narratif de progrès tout en préparant le terrain pour les prochaines étapes. La construction d’un « Ituri stable et prospère », selon ses propres termes, passe nécessairement par la capacité à transformer les avancées sécuritaires tactiques en bénéfices concrets et palpables pour les populations. Les projets socio-économiques mentionnés seront-ils à la hauteur des attentes immenses ? La volonté affichée de « bâtir un avenir meilleur » pourra-t-elle résister à la persistance des violences localisées ?
L’année 2026 s’annonce donc comme un test crucial pour le gouvernorat militaire de l’Ituri. Le bilan, aussi positif soit-il présenté, sera jugé à l’aune de la sécurité quotidienne des civils et de l’amélioration réelle de leurs conditions de vie. La consolidation des acquis mentionnés par le lieutenant Ngongo ne pourra se faire sans une adhésion plus large et sincère de la population. L’appel à l’unité lancé par Johnny Luboya résonne donc comme une nécessité stratégique, mais sa concrétisation dépendra de la capacité des autorités à associer véritablement les communautés à leur destin, au-delà des discours de circonstance. La route vers la paix et le développement reste semée d’embûches, et le gouvernement provincial devra faire preuve d’une agilité politique à la mesure des immenses défis qui subsistent.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
