« Ils sont venus comme des tornades, renversant tout sur leur passage. Nos marchandises ont volé, et nous avec. Pour récupérer notre place, il faut payer. C’est la loi de la rue en ce moment. » La voix de Julienne, vendeuse de pagnes au marché Zando de Kinshasa, tremble de colère et d’impuissance. Son témoignage, loin d’être isolé, illustre une réalité brutale qui assombrit les préparatifs des fêtes de fin d’année dans la capitale congolaise. Alors que la ville devrait vibrer au rythme des achats et des retrouvailles, une autre mélodie, sourde et anxiogène, se fait entendre : celle des tracasseries policières à Kinshasa.
Autour du grand marché éphémère communément appelé « Zando », l’ambiance est à l’amertume. Des dizaines de vendeurs, rencontrés ces derniers jours, relatent une même scène, répétée inlassablement : l’intervention musclée d’agents de police. « Ils nous chassent de nos étalages, souvent sans un mot d’explication, juste par la force », confie un jeune vendeur de chaussures, souhaitant garder l’anonymat par crainte de représailles. Le scénario qui suit est terriblement prévisible. Une fois les vendeurs chassés du marché, les mêmes agents reviennent pour négocier. Le prix du retour ? Une somme d’argent, variable, payée en catimini. Une pratique de racket qui transforme l’espace public en terrain de prédation.
Mais au-delà de l’extorsion, c’est la brutalité policière en RDC qui marque les esprits. « Ils frappent, insultent, confisquent sans sommation. On se sent moins que rien », lance Marie, marchande de jouets. Comment en est-on arrivé là ? Comment la sécurité, supposée être un service public, se transforme-t-elle en source d’insécurité pour les petits commerçants qui tentent simplement de gagner honnêtement leur vie à l’approche des fêtes ? Ces questions rhétoriques hantent les allées du Zando, où la méfiance envers l’uniforme est palpable.
Cette pression constante n’est malheureusement pas le seul calvaire des commerçants. Un autre fléau, tout aussi étouffant, paralyse la ville et leur activité : les embouteillages monstres à Kinshasa. Depuis plusieurs semaines, circuler dans la capitale relève du parcours du combattant. Les artères principales sont devenues des parkings à ciel ouvert, où klaxons et fumées d’échappement composent un paysage sonore et olfactif des plus stressants. « Les clients ne viennent plus, ou si rarement », déplorent Armand, vendeur de guirlandes. « Avec ces embouteillages de décembre, qui a le courage de se déplacer pour acheter une décoration ? Les gens sont épuisés avant même d’arriver ici. »
Cette congestion extrême du trafic a plusieurs visages. Pour de nombreux Kinois, elle est directement liée à l’affluence des acheteurs des fêtes de fin d’année, ces « parents » qui se ruent pour garnir les tables et trouver les cadeaux. Une ruée vers l’or temporaire qui, chaque année, met à genoux un réseau routier déjà fragile. Mais cet engorgement chronique pose une question plus fondamentale : Kinshasa, mégalopole en croissance constante, n’a-t-elle pas urgemment besoin de repenser sa mobilité ? Le débat dépasse la simple gêne occasionnelle ; il touche à l’économie informelle, à la qualité de vie, et à l’accès aux services.
Face à ce double fardeau – le harcèlement des forces de l’ordre et l’asphyxie par les embouteillages – les appels à l’aide montent des étals du marché Zando pendant les fêtes de fin d’année. Les vendeurs lancent un cri du cœur aux autorités municipales et nationales. Ils réclament une intervention ferme pour mettre fin aux tracasseries, pour que la police assure leur sécurité au lieu de la menacer. Ils demandent aussi, et peut-être surtout, des solutions durables pour fluidifier la ville. Des solutions qui passent peut-être, comme le suggèrent certains experts, par le développement de transports en commun fiables et par une meilleure organisation de l’espace public marchand.
L’enjeu est de taille. Il ne s’agit pas seulement de permettre à des vendeurs de passer de bonnes fêtes. Il s’agit de redéfinir le contrat social dans l’espace urbain. Comment une ville peut-elle prospérer si ceux qui animent son économie informelle, souvent vitale, sont quotidiennement humiliés et entravés ? Les fêtes de fin d’année, période de bilan et de générosité supposée, agissent comme un révélateur cruel des dysfonctionnements quotidiens. La lumière des guirlandes du Zando éclaire ainsi, malgré elle, les ombres d’une gouvernance en crise. Le vrai cadeau que pourraient s’offrir les Kinois cette année ne tiendrait pas dans un paquet, mais dans l’apaisement de leur rue et le retour du respect dans leur vie économique.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
