« Ils sont arrivés comme une tornade, balayant tout sur leur passage. Nos cartons, nos marchandises… tout a volé. Pour récupérer ma place, j’ai dû donner 5 000 francs. C’est mon bénéfice de la journée qui part en fumée. » La voix tremblante de Marc, vendeur de chaussures au marché Zando, résume le calvaire que vivent des centaines de commerçants à Kinshasa en cette fin d’année. Alors que la ville devrait vibrer au rythme des préparatifs des fêtes, une autre réalité, bien plus sombre, s’impose autour de ce grand marché populaire : celle des tracasseries policières systématiques et d’une circulation devenue infernale.
Les tracasseries policières à Kinshasa prennent, en décembre, une tournure particulièrement brutale. Autour du Zando, épicentre du commerce informel, des unités de police déploient une pression constante sur les vendeurs. Le scénario est toujours le même : délogement manu militari, confiscation symbolique des marchandises, puis négociation pour un « droit de retour » payant. Comment une période censée être joyeuse peut-elle se transformer en cauchemar pour ceux qui tentent simplement de gagner honnêtement leur vie ? Cette pratique, dénoncée de longue date, atteint son paroxysme en cette saison où les besoins financiers des ménages sont les plus criants.
La brutalité policière n’est pourtant que la face la plus visible de l’iceberg. À quelques mètres des étals harcelés, un autre drame se joue : celui de la désertion des clients. « Les gens passent, regardent, mais n’achètent pas. Ils n’ont tout simplement pas les moyens », soupire Antoinette, vendeuse de pagnes. L’inflation galopante a rogné le pouvoir d’achat des Kinois, laissant les vendeurs avec des stocks pleins et des portefeuilles vides. Le contraste est saisissant entre l’abondance des articles proposés – habits neufs, décorations, jouets – et la frilosité des acheteurs. Les fêtes de fin d’année, moment de renouveau et de prospérité espérée, se teintent ici des couleurs de la précarité.
Cette faible affluence trouve aussi sa source dans le chaos urbain. Les embouteillages monstres qui étranglent Kinshasa dissuadent de nombreux clients de se rendre au marché. Les artères principales, comme les boulevards menant au Zando, sont devenues des parkings à ciel ouvert. Qu’est-ce qui paralyse ainsi la capitale congolaise ? Pour beaucoup d’habitants, ces bouchons monstres sont directement liés à l’afflux des Kinois venus faire leurs achats de fin d’année. Un cercle vicieux s’installe : les embouteillages découragent les clients, qui n’achètent pas, plongeant un peu plus les vendeurs dans la difficulté, tandis que les policiers voient dans cette détresse une opportunité pour racketter.
La situation interroge profondément la gestion de l’espace public et la protection des petits commerçants. Les vendeurs du Zando, souvent pointés du doigt pour le désordre, sont pourtant une pièce maîtresse de l’économie informelle kinoise. Leur harcèlement systématique par les forces de l’ordre, supposées les protéger, mine la confiance en l’État et sape les bases d’une économie déjà fragile. Dans un contexte où des solutions comme le transport multimodal sont évoquées pour désengorger la ville, la priorité immédiate pour ces commerçants reste la sécurité et la paix pour exercer leur activité.
Les appels des vendeurs à l’implication des autorités municipales résonnent donc comme un cri d’alarme. Il ne s’agit pas seulement de fluidifier la circulation à Kinshasa en décembre, mais de repenser l’approche de la sécurité et du commerce informel. La fin des tracasseries policières et la mise en place d’un cadre clair et respectueux seraient un premier pas vers la reconnaissance de l’immense apport de ces milliers d’hommes et de femmes à l’économie quotidienne. Alors que les lumières des fêtes commencent à scintiller, la lumière sur les pratiques abusives et les dysfonctionnements urbains doit, elle aussi, être faite. L’enjeu dépasse le simple confort de circulation ; il touche à la dignité du travail et à la justice sociale dans une capitale en perpétuelle lutte contre elle-même.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
