« Ici, nous avons des rivières, mais l’eau potable est un luxe. Nous avons des terres fertiles, mais nos enfants connaissent la faim. » Cette déclaration amère de Lucie, une habitante de Walikale, résume le paradoxe criant qui frappe ce territoire du Nord-Kivu. Alors que les fils et filles de Walikale préparent la célébration des 72 ans de leur entité, un sentiment mêlé de fierté et d’amertume domine. Soixante-douze ans après sa création par ordonnance royale le 17 décembre 1953, le constat est implacable : le développement est un mirage pour des milliers de familles. Pourtant, les ressources abondent sous leurs pieds et autour d’eux.
Le tableau est sombre, mais il n’efface pas l’espoir. Face à des décennies de carence, où sont passées les promesses ? Les infrastructures scolaires et sanitaires demeurent dans un état précaire, tandis que l’eau courante et l’électricité relèvent encore du rêve pour la majorité. Dans ce contexte, la simple célébration d’un anniversaire ne suffit plus. C’est pourquoi une dynamique nouvelle est née parmi les ressortissants de Walikale. Ils ont décidé de prendre en main leur destin et de tracer une feuille de route ambitieuse : un plan décennal de développement durable. Ce projet vise à transformer radicalement le territoire d’ici 2035, en s’appuyant sur tous les secteurs, avec une priorité absolue accordée à l’agriculture.
Porté par des figures comme Prince Kihangi, député provincial honoraire du Nord-Kivu, ce plan est bien plus qu’une simple déclaration d’intention. Il s’agit d’un engagement concret pour sortir Walikale de la dépendance et de la pauvreté. « On peut se développer uniquement à partir de l’agriculture », affirme avec conviction Prince Kihangi. Sa vision est claire : en dix ans, Walikale doit non seulement atteindre l’autosuffisance alimentaire, mais aussi devenir un exportateur de ses excédents. Le potentiel est là, enfoui dans la mémoire collective et dans les sols riches. L’objectif est de faire renaître les cultures qui firent jadis la renommée de la région.
Le discours de Prince Kihangi est empreint d’un questionnement poignant sur l’héritage laissé en suspens. Il s’interroge sur l’absence de traces de café après le départ du colonisateur belge, alors que ce dernier avait pourtant développé avec succès des plantations de thé, de café arabica et de robusta. Comment un tel savoir-faire a-t-il pu disparaître ? Cette question rhétorique souligne à la fois un gâchis historique et une formidable opportunité. Le territoire a toutes les cartes en main pour produire un café de qualité mondialement reconnue, ainsi que de l’huile de palme et du cacao. Le plan décennal pour le développement de Walikale vise précisément à réveiller ce géant endormi.
Pour y parvenir, la stratégie repose sur la création d’environ cinq coopératives agricoles viables. « C’est à partir de ces coopératives que nous développerons l’agriculture et la pêche », insiste M. Kihangi. Ce modèle coopératif est crucial. Il permet de mutualiser les efforts, les ressources et les connaissances, évitant ainsi l’écueil de l’isolement des petits producteurs. Il s’agit de structurer une filière solide, depuis la production jusqu’à la commercialisation, en passant par la transformation locale pour ajouter de la valeur aux produits. Cette approche collective est la clé pour bâtir une économie résiliente et génératrice de revenus durables pour les populations.
Au-delà des mots, des signaux concrets commencent à apparaître. La réhabilitation de plusieurs routes dans le territoire, évoquée par Radio Okapi, est une condition sine qua non pour désenclaver les zones de production et permettre aux marchandises d’atteindre les marchés. Sans routes praticables, aucun projet agricole ambitieux ne peut aboutir. Ces travaux d’infrastructure, bien que timides, sont le premier maillon d’une chaîne de développement plus large. Ils doivent s’accompagner d’investissements dans l’énergie, l’eau et la formation des jeunes aux techniques agricoles modernes.
Le chemin vers l’autosuffisance alimentaire en RDC, et particulièrement à Walikale, est semé d’embûches. Les défis sont immenses : insécurité persistante dans certaines zones, accès limité au crédit pour les agriculteurs, changements climatiques. Cependant, la mobilisation des ressortissants eux-mêmes constitue un capital inestimable. Elle traduit une volonté farouche de ne plus être les oubliés du Nord-Kivu. Ce plan décennal est un pari sur l’avenir, un refus de la fatalité. Il place l’agriculture non comme une activité de subsistance, mais comme le pilier central d’un véritable décollage économique.
Alors que les 72 bougies seront soufflées en décembre 2025, la vraie fête sera peut-être celle du lancement effectif de cette nouvelle ère. Le développement de Walikale n’est plus une attente passive vis-à-vis de l’État central, mais un projet collectif et endogène. Le travail du député honoraire Prince Kihangi et de ses pairs consiste à canaliser cette énergie, à lui donner un cadre et des moyens. Si cette dynamique se concrétise, Walikale pourrait bien servir d’exemple et de modèle pour d’autres territoires congolais en quête de leur propre émancipation économique. L’enjeu dépasse largement les frontières de ce territoire : il s’agit de prouver que la RDC peut nourrir ses enfants et construire sa prospérité à partir de ses propres ressources.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
