Dans un geste qui en dit long sur les tensions politiques qui traversent la capitale congolaise, Martin Fayulu, figure emblématique de l’opposition et coordonnateur de la plateforme Lamuka, s’est vu refuser l’accès à une salle de conférence à la Cité Verte, dans la commune de Selembao à Kinshasa. Ce dimanche, l’homme politique devait animer un débat avec des étudiants, une rencontre que les forces de l’ordre ont empêchée au dernier moment. Cet incident, loin d’être isolé, s’inscrit dans une série d’entraves qui questionnent profondément l’état de l’espace démocratique en République Démocratique du Congo.
Le porte-parole de Lamuka, Prince Epenge, a vivement réagi dès le lendemain, dénonçant une « restriction » systématique des libertés fondamentales. Selon ses déclarations, cette interdiction s’ajoute à un modèle récurrent où « systématiquement les forces de l’ordre ou de désordre sont envoyées pour empêcher les manifestations de l’opposition ». Le contraste est, selon lui, frappant : alors que les activités de l’opposition congolaise sont entravées, celles du parti présidentiel, l’UDPS, et de la mouvance de l’Union Sacrée de la Nation se déroulent « sans encombre, sans aucune interdiction ». Cette politique de deux poids, deux mesures n’est-elle pas le signe avant-coureur d’un durcissement du régime ?
La réaction des autorités locales offre un contrepoint institutionnel à ces accusations. Contacté, le bourgmestre de la commune de Selembao, Womumu Yanyi Mathias, justifie cette décision par un défaut de procédure. Il affirme que ni les autorités de la ville, ni celles de la commune n’avaient été informées de la tenue de cette activité publique à caractère politique. « La démocratie implique aussi le respect des principes et des règles établis », a-t-il rappelé, soulignant avoir simplement demandé aux organisateurs de reporter l’activité pour se conformer à la loi. Cette explication administrative suffit-elle à apaiser les craintes d’un étouffement ciblé de la parole discordante ?
L’analyse politique de cet événement dépasse le simple conflit de calendrier ou de formalisme. La conférence interdite à Kinshasa devient un symbole, un point de cristallisation des frustrations de l’opposition. Prince Epenge ne s’y est pas trompé en pointant du doigt une « dérive dictatoriale » que la majorité au pouvoir voudrait « implémenter à tout bout du champ ». Pour Lamuka, cette situation « met en péril les efforts de cohésion et d’unité » que la plateforme tente de construire. La métaphore est forte : en contraignant Martin Fayulu à animer son débat « en plein air », le pouvoir envoie un message clair sur la marginalisation spatiale, et donc politique, qu’il entend réserver à ses adversaires.
Au-delà de l’anecdote, cet incident pose une question fondamentale sur la santé du jeu démocratique congolais. L’espace public est-il encore un terrain neutre où toutes les forces politiques peuvent s’exprimer librement, ou est-il devenu un champ de bataille où la majorité use de son autorité pour contenir l’opposition ? La régularité avec laquelle ces entraves surviennent laisse planer un doute sérieux. Si les règles doivent être respectées par tous, leur application selective sape la crédibilité des institutions et alimente un sentiment d’injustice qui pourrait, à terme, menacer la stabilité sociale.
La conclusion du porte-parole Epenge, empruntant à la philosophie grecque – « tout passe, tout coule, rien ne demeure » – sonne comme un avertissement à l’adresse du pouvoir. L’histoire politique est un flux constant, et les majorités d’aujourd’hui peuvent devenir les minorités de demain. La tentation de restreindre l’espace démocratique pour consolider son emprise est un jeu dangereux, dont les conséquences à long terme pourraient fragiliser les fondements mêmes de l’État de droit que la RDC prétend défendre. Le prochain enjeu sera de voir si la pression de l’opposition et de la société civile parviendra à infléchir cette tendance, ou si la conférence interdite de ce dimanche à Selembao marquera le début d’une normalisation de ces pratiques répressives.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
