La rhétorique diplomatique a une fois de plus buté contre le mur des réalités du terrain dans l’Est de la République démocratique du Congo. Ce dimanche 21 décembre, le président Félix Tshisekedi, intervenant par visioconférence lors d’un sommet ad hoc du Mécanisme régional de suivi de l’accord-cadre de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), a porté un coup sévère aux narratives optimistes. Son propos, tranchant et documenté, a déconstruit point par point le prétendu retrait de l’AFC/M23 d’Uvira, une affirmation qui, selon lui, « ne correspond ni aux faits ni aux observations recueillies sur le terrain ».
Cette sortie présidentielle, loin d’être une simple prise de position, constitue un réquisitoire accablant contre l’inertie observée dans le processus de pacification. Tshisekedi a explicitement relié la continuité de l’insécurité dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu à la présence des troupes rwandaises et de leurs supplétifs locaux. « Nos informations établissent que des éléments armés demeurent présents dans la ville et ses environs immédiats, que des positions stratégiques restent occupées et que la population continue d’être exposée à des exactions », a-t-il déclaré, offrant une image en contraste total avec les communiqués annonçant des désengagements.
L’enjeu dépasse le simple fait militaire pour toucher à la crédibilité même des institutions régionales. En s’adressant à un aréopage comprenant l’Union africaine, l’Union européenne, les États-Unis et les Nations Unies, le chef de l’État congolais a placé la barre très haut. Il a rejeté avec fermeté toute manœuvre dilatoire, clarifiant sans ambages la position de Kinshasa : « Ce que nous attendons, ce n’est ni un redéploiement, ni un déplacement tactique, mais le retrait effectif, complet et sans équivoque des troupes rwandaises de l’ensemble du territoire de la République démocratique du Congo ». Cette exigence, présentée comme non-négociable, se veut l’application stricte des engagements internationaux et des résolutions en vigueur, que plusieurs observateurs estiment jusqu’ici lettre morte.
Que révèle cette fermeté soudaine dans le discours présidentiel ? Analysée à la loupe, elle semble être le fruit d’une double constatation : l’échec patent des mécanismes de pression discrets et l’exaspération grandissante d’une population congolaise lasse des cycles de violence. Le sommet du CIRGL, censé être le cadre par excellence de la résolution de ce conflit dans l’Est du Congo, est ainsi transformé en tribune pour un ultimatum. Tshisekedi joue ici un jeu risqué, misant sur la mobilisation de la communauté internationale pour isoler Kigali et imposer une solution durable. L’échec de cette stratégie pourrait non seulement ancrer l’impasse sécuritaire mais aussi fragiliser sa stature sur la scène régionale.
La situation à Uvira et dans le Grand Lac devient donc le symbole d’un conflit plus large, où la guerre par procuration se mêle à des enjeux géostratégiques complexes. La présence persistante de combattants, malgré les annonces, pose une question fondamentale : qui, réellement, contrôle le calendrier de la paix dans la région des Grands Lacs ? Les déclarations du président congolais jettent une lumière crue sur le fossé abyssal entre les déclarations d’intention, souvent faites dans les hôtels climatisés des capitales étrangères, et la souffrance quotidienne des communautés locales. La sécurité promise reste un mirage pour des centaines de milliers de civils.
À l’issue de ce sommet, la balle est désormais dans le camp des partenaires internationaux et des autres membres du CIRGL. Accepteront-ils de passer des condamnations de principe à des actions coercitives concrètes pour contraindre au respect du droit international ? La crédibilité de tout le mécanisme régional de suivi est en jeu. Pour Kinshasa, le temps des demi-mesures et des compromis boiteux est révolu. La prochaine étape sera cruciale : soit la communauté internationale donne du poids aux exigences congolaises en garantissant un monitoring indépendant et contraignant sur le terrain, soit elle acte son impuissance à régler un conflit qui mine la stabilité de toute l’Afrique centrale depuis des décennies. Les prochaines semaines, sur le front comme dans les couloirs diplomatiques, seront déterminantes pour l’avenir de la RDC.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
