À Goma, le mois de décembre n’apporte pas l’effervescence habituelle. Au marché de Bireré, les allées sont désertes, les étals de vêtements neufs restent immobiles et les sacs de riz s’empoussèrent. « Comment voulez-vous qu’il y ait de la joie ? », lance un vendeur en désignant ses marchandises invendues. Le constat est amer : les fêtes de fin d’année, traditionnellement une période de liesse et de retrouvailles, se dessinent cette année sous les couleurs de la frustration et de la précarité. L’occupation rebelle qui pèse sur la ville et une crise économique aiguë ont étouffé toute velléité de célébration.
Le cœur du problème bat au rythme d’une présence militaire étrangère. « Il n’y a pas d’autorité de l’État, les gens vivent dans la peur et l’incertitude permanente », confie un habitant du quartier de Keshero. Cette réalité quotidienne mine le moral des populations et anéantit tout projet festif. Comment planifier un repas de Noël ou acheter des cadeaux quand l’avenir immédiat est une équation sans solution ? L’insécurité a verrouillé la ville, transformant la perspective des réjouissances en un luxe inaccessible. Les fêtes de fin d’année à Goma sont ainsi devenues le miroir d’une crise plus profonde, celle de la souveraineté et de la normalité perdue.
À cette pression sécuritaire s’ajoute un étau économique qui étrangle les ménages. La fermeture des banques commerciales depuis près d’un an a coupé l’accès aux liquidités pour des milliers de familles. « Les salaires ne sont plus virés, les petites économies sont bloquées. Les parents ne peuvent même plus acheter un simple habit pour leurs enfants », déplore une mère de famille. Cette paralysie du système bancaire, conséquence directe de l’instabilité, a gelé l’économie locale. L’argent ne circule plus, ou si peu, confinant les transactions au strict nécessaire. La crise économique au Nord-Kivu frappe de plein fouet le pouvoir d’achat, rendant les produits de base inaccessibles et reléguant les dépenses festives au rang de chimère.
Sur le terrain, les commerçants sont aux premières loges de cette débâcle. Au marché, l’ambiance est à la consternation. « Nous nous demandons si les familles mangent encore à leur faim », s’interroge un vendeur d’huile, devant ses bidons pleins. Les stratégies commerciales ont volé en éclats : baisser les prix ne suffit plus à attirer une clientèle exsangue. Les sacs de farine, les boîtes de conserve, les biscuits pour les enfants… tout reste en stock. Cette stagnation des ventes, en période habituellement faste, sonne comme un glas pour les petits entrepreneurs et dessine une carte sociale de la détresse. Les conditions de vie à Goma n’ont jamais été aussi dures, coincées entre la menace des conflits et l’asphyxie financière.
Pourtant, dans cette grisaille, une lueur paradoxale persiste. Certains produits de première nécessité, comme le riz ou l’huile, ont vu leurs prix baisser légèrement, une tendance saisonnière qui offre un maigre répit. Certains habitants tentent, contre vents et marées, de garder une étincelle d’espoir. « Il faut bien que la vie continue, même si c’est difficile. On va se serrer les coudes en famille, avec le peu qu’on a », souffle un jeune père. Cette résilience, si elle n’efface pas la misère, témoigne d’une formidable capacité à survivre. La ville oscille ainsi entre résignation et courage, entre le deuil d’une fête normale et la détermination à préserver un semblant d’humanité.
Finalement, les préparatifs des fêtes à Goma posent une question fondamentale : que célèbre-t-on lorsque les conditions de base de la dignité sont bafouées ? L’absence de festivités est bien plus qu’un renoncement à la fête ; c’est le symptôme d’une société entravée, privée de ses repères et de sa liberté fondamentale à vivre en paix. Alors que les lumières de Noël brillent par leur absence dans les rues de la ville volcanique, c’est tout un symbole de normalité et de joie partagée qui s’éteint. La vraie fête, pour Goma, sera peut-être celle du jour où le bruit des armes laissera place au rire des enfants, et où l’argent retrouvera le chemin des porte-monnaie avant celui des marchands d’armes.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
