Le regard perdu vers les rues de Bireré, Samuel, père de quatre enfants, serre entre ses mains les quelques billets froissés qui doivent lui tenir jusqu’à la fin du mois. « Comment voulez-vous que je pense à la fête ? », lance-t-il, la voix chargée d’une amertume devenue familière. « Entre l’argent qui ne circule plus et cette présence qui nous écrase, on survit, on ne vit plus. » À Goma, ville martyre du Nord-Kivu, l’approche des traditionnelles fêtes de fin d’année ne résonne pas des rires et des préparatifs habituels, mais du silence lourd d’une population sous le joug.
Depuis près d’un an, l’occupation rebelle d’une partie du territoire a figé la vie économique et sociale. Les banques, ces artères vitales de l’économie, sont closes depuis onze longs mois, étranglant les ménages et les petites entreprises. Les salaires sont bloqués, les économies inaccessibles, plongeant des milliers de familles dans une précarité extrême. Les marchés, comme celui de Bireré, en sont le reflet glaçant. Les allées, habituellement bondées à cette période, sont désertes. Les sacs de riz et les bidons d’huile s’accumulent sur les étals, invendus malgré une baisse significative des prix. « Nous nous demandons si les gens mangent encore », confie un commerçant, le visage marqué par l’inquiétude. « On baisse les prix, mais rien ne bouge. L’ambiance des fêtes ? Elle est restée enfermée avec notre argent dans les banques. »
Cette frustration des habitants de Goma est palpable à chaque coin de rue. Elle n’est pas seulement économique ; elle est politique, sociale, humaine. L’absence des autorités de l’État laisse un vide abyssal, un sentiment d’abandon total. « Il n’y a pas d’autorité. Alors, fêter quoi ? », interroge amèrement un autre habitant. La célébration de la nativité ou du passage à la nouvelle année semble une moquerie face au deuil quotidien, à l’insécurité et à la paralysie institutionnelle. Comment envisager l’avenir quand le présent est une lutte pour les besoins les plus élémentaires ? Les parents sont incapables d’offrir un simple habit neuf à leurs enfants, ritual pourtant sacré des fêtes. La honte se mêle à la colère, tissant un climat de profonde morosité.
Pourtant, dans cette grisaille, des lueurs de résilience tentent de percer. Face à la fermeture des banques à Goma et à la contraction monétaire, des systèmes D se mettent en place. Le troc reprend parfois ses droits, et la solidarité de voisinage s’active dans l’ombre. Paradoxalement, certains articles de première nécessité voient leurs prix chuter en cette période, offrant un mince répit. Une livre de sucre, un peu d’huile deviennent soudain plus accessibles. Cette légère détente sur les prix est la seule concession d’un marché à la dérive, une bouffée d’air trop ténue pour inverser la tendance. L’économie de Goma en crise respire par à-coups, au rythme des espoirs déçus et des petits arrangements avec la réalité.
Alors que le reste du pays se prépare aux festins et aux retrouvailles, Goma retient son souffle. La ville oscille entre une résignation douloureuse et une détermination farouche à tenir. Les fêtes de fin d’année, traditionnellement moment de liesse et de renouveau, se transforment ici en miroir grossissant des fractures d’une région en souffrance. Derrière les portes closes, des familles tenteront sans doute de partager un repas plus consistant, un semblant de normalité. Mais le bruit des conflits aux portes de la ville et le silence des guichets bancaires vides rappelleront que la véritable fête, celle de la paix et de la prospérité retrouvées, est reportée à une date encore incertaine. Le défi n’est plus seulement de célébrer, mais de retrouver le simple droit à une vie digne, libérée de l’occupation et de la pénurie.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
