La pluie qui s’abat sur Goma ce mardi 16 décembre semble pleurer avec la foule. Sous la vaste tente dressée devant le stade de l’Unité, le cercueil de Magloire Paluku Kavunga repose, recouvert des drapeaux de la RDC et de l’AFC/M23. Un homme, voix brisée par l’émotion, tente de lire un poème du défunt. « Il disait que les mots étaient nos seules armes contre l’obscurité… », murmure-t-il avant de s’interrompre, incapable de continuer. Cette scène, plus qu’un discours, résume le vide laissé par l’assassinat de cette figure plurielle. Goma, ville habituée aux deuils, rend un hommage lourd de signification et de non-dits à un de ses enfants les plus célèbres, emporté par la violence.
La cérémonie funéraire a réuni un échantillon contrasté du Nord-Kivu. Aux côtés de la famille dévastée et des confrères journalistes silencieux, se tenaient les responsables politico-militaires de l’AFC/M23, dont le coordonnateur Corneille Nangaa Yobeluo et son adjoint Bertrand Bisimwa. Le gouverneur de la province, Bahati Musanga Erasto, et ses vice-gouverneurs étaient également présents, illustrant l’ambiguïté du statut de Kavunga : ancien cadre de l’État, devenu conseiller en communication d’un mouvement qualifié d’insurrectionnel par Kinshasa. Aucun discours officiel de l’AFC/M23 ne fut prononcé, si ce n’est l’oraison funèbre lue par le directeur de cabinet de Nangaa, Yannick Tshisola. Un silence éloquent, dans un contexte où les mots pèsent lourd.
Qui était donc Magloire Paluku Kavunga, dont la biographie fut lue sous cette tente ? Né à Butembo il y a 58 ans, il était bien plus qu’un journaliste ou un cadre politique. Écrivain-poète, musicien, comédien, animateur, et fondateur de Radio Kivu 1 en 2008, il était le visage culturel vibrionnant de Goma. Son adhésion publique à l’AFC/M23 en juillet 2024, en tant que conseiller en communication de Corneille Nangaa, avait fait l’effet d’un séisme. Comment une telle figure, ancien conseiller culturel et artistique au ministère de la Culture, puis directeur de cabinet dans ce même ministère, avait-elle choisi ce camp ? Ses derniers appels médiatiques, enjoignant le gouvernement à négocier avec la rébellion, résonnent aujourd’hui comme un testament politique tragique.
Les circonstances de sa mort, survenue dans la nuit du 10 décembre, restent nébuleuses. Tué par balle par des inconnus à Goma, son assassinat s’inscrit dans la longue et sombre liste des morts violentes et non élucidées dans l’Est de la RDC. Quelques mois plus tôt, en juillet, il avait été condamné à mort par contumace par la Cour militaire de la Gombe, dans le procès visant Nangaa et 24 autres coaccusés pour crimes de guerre, trahison et participation à un mouvement insurrectionnel. Son parcours pose une question brûlante : dans l’est congolais, l’engagement public est-il devenu une sentence de mort ? La culture et la politique peuvent-elles encore faire bon ménage sans conduire au cimetière ?
En marge de la cérémonie, les journalistes de Goma ont lancé un plaidoyer poignant : rebaptiser une rue de la ville au nom de Magloire Paluku. Un hommage pour saluer son apport médiatique et culturel, mais aussi, peut-être, une tentative de récupérer sa mémoire des mains de la seule politique partisane. Ce geste symbolique cherche à ancrer dans le béton de la ville ce que les balles ont voulu effacer : l’héritage d’un bâtisseur culturel.
Sous des averses diluviennes, le cortège funèbre s’est finalement dirigé vers le cimetière Makao 2, dans le quartier Mugunga. La terre du Nord-Kivu a englouti l’un de ses conteurs les plus talentueux. La cérémonie d’hommage à Magloire Paluku Kavunga à Goma est terminée, mais les interrogations, elles, demeurent. Qui a tiré, et pourquoi ? Son assassinat sonne-t-il comme un avertissement glaçant à tous ceux qui osent traverser les lignes politiques dans cette région en proie aux conflits ? La disparition de cette figure culturelle majeure du Nord-Kivu laisse un silence assourdissant, que ni la pluie ni les discours ne peuvent combler. Elle rappelle avec une cruelle acuité le prix exorbitant de l’engagement dans une RDC où les lignes entre art, journalisme et militantisme sont trop souvent tracées à la pointe d’une arme.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
