Dans un contexte où les initiatives diplomatiques peinent à produire des résultats tangibles sur le terrain, la voix de l’Église résonne avec une insistance particulière. L’archevêque de Kinshasa, le Cardinal Fridolin Ambongo, a une nouvelle fois brandi l’impératif d’un dialogue national inclusif comme unique antidote à la crise multiforme qui consume la République Démocratique du Congo. Son plaidoyer, prononcé à la clôture de la 15e assemblée plénière de l’Association des conférences épiscopales de l’Afrique centrale (ACEC), ne se contente pas d’être un vœu pieux ; il constitue une critique voilée, mais cinglante, de l’approche gouvernementale actuelle.
La crise sécuritaire dans l’Est de la RDC, avec l’occupation persistante de pans entiers du Nord et du Sud-Kivu par les rebelles du M23, sert de toile de fond tragique à cet appel. Face à cette réalité, le Cardinal Ambongo oppose un message de résilience et de refus de la haine pour les populations meurtries. Mais au-delà des mots de consolation, sa position est fondamentalement politique : elle questionne l’efficacité et la légitimité des solutions imposées de l’extérieur. « Quelle que soit l’intensité des violences et des conflits, la paix reste possible », a-t-il affirmé, insinuant par là que la volonté politique fait cruellement défaut.
C’est ici que le bât blesse, et l’homme d’Église ne mâche pas ses mots. Son analyse se porte naturellement sur l’accord de Washington signé entre la RDC et le Rwanda. Comment interpréter, s’interroge-t-il, la chute de la ville d’Uvira sous occupation rebelle, survenue moins d’une semaine après la ratification de ce texte par les présidents Félix Tshisekedi et Paul Kagame ? La question, rhétorique, est un réquisitoire. Elle souligne le fossé abyssal entre les signatures au sommet et la réalité sanglante du terrain. Pour le Cardinal, cet accord, tout comme d’autres initiatives similaires, pêche par son essence même : il exclut les Congolais dans la recherche de solutions à leurs propres problèmes et perpétue, par son silence complice, la banalisation du pillage des ressources nationales.
Ce constat d’échec présumé sert de rampe de lancement à l’alternative portée par les évêques de la CENCO et les pasteurs de l’ECC. Leur proposition ? L’élaboration d’un pacte social pour la paix et le vivre-ensemble, non seulement en RDC mais dans l’ensemble de la région des Grands Lacs. Ce projet ambitieux se veut plus qu’une simple table ronde ; il aspire à être un processus profondément ancré dans la société, capable de s’attaquer aux racines historiques, économiques et identitaires du conflit. « À l’heure actuelle, ce pacte apparaît comme le chemin incontournable vers une paix authentique et durable dans notre sous-région », a martelé le Cardinal Ambongo. Par cette affirmation, il oppose la lente et complexe construction endogène de la paix aux solutions rapides et externes, jugées superficielles.
La manœuvre politique sous-jacente est claire. En insistant sur un dialogue national inclusif, l’Église place le gouvernement congolais devant ses responsabilités. S’engagera-t-il dans une voie qui, bien que longue et semée d’embûches, promet une légitimité plus forte et une adhésion populaire ? Ou continuera-t-il à privilégier les arrangements diplomatiques à haut niveau, dont les bénéfices immédiats en termes d’image sont contrebalancés par leur faible impact sur la sécurité des citoyens ? Le Cardinal Fridolin Ambongo, par son magistère moral, dessine une ligne de fracture dans le paysage politique congolais. Son appel est un test pour l’exécutif : un test de sa capacité à écouter ses propres bases, à prioriser la souveraineté populaire sur les calculs géostratégiques, et à embrasser la complexité d’une paix qui ne se décrète pas, mais se construit avec le peuple. L’alternative, suggère-t-il avec une gravité prophétique, n’est autre que la perpétuation d’un cycle de violence où les accords internationaux restent des coquilles vides, et où la colère des laissés-pour-compte finit par consumer toute velléité de stabilité.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
