Les cris montent des collines du Sud-Kivu et résonnent dans les rues de Kinshasa. Ce samedi 13 décembre 2025, tandis que la ville stratégique d’Uvira tombait sous le contrôle de la rébellion M23, des millions de Congolais, pasteurs et fidèles, se sont tournés vers le ciel. L’Église du Christ au Congo (ECC) organisait la sixième édition de la Journée nationale de jeûne et de prière pour la République démocratique du Congo, un cri du cœur face à une nation qui semble se dissoudre dans la violence et le désespoir. Dans ce contexte, que peut une journée de prière ? Elle est, pour les responsables religieux, le dernier rempart spirituel contre l’effondrement.
« Les cris de détresse continuent de monter de nos villes et de nos campagnes », a lancé d’une voix grave le Révérend Dr André-Gédéon Bokundoa-Bo-Likabe, président national de l’Église du Christ au Congo. Face à une assemblée recueillie, il a dressé un tableau sans fard de la réalité congolaise : une guerre « injustement imposée » à l’Est qui a fait « plusieurs millions de morts innocents », des déplacés par centaines de mille, une pauvreté qui tenaille, une justice en berne et la corruption qui ronge les fondements de l’État. Son message, placé sous le thème « Restaurons notre alliance avec Dieu pour le salut de la RDC », était un mélange de constat amer et d’espérance tenace. « Mais malgré cette situation alarmante, sachons que jamais l’Eternel nous abandonne », a-t-il assuré, cherchant à redonner un souffle à un peuple qu’il décrit comme « éprouvé ».
Au-delà de l’appel à la piété, le discours du président de l’ECC était un véritable manifeste citoyen. Il a interpellé toutes les strates de la société congolaise, dessinant les contours d’un pacte national renouvelé. Aux pasteurs, de « se tenir à la brèche pour la Nation ». Aux simples fidèles, de devenir des « artisans de paix ». Aux familles, de redevenir des « autels vivants de prière ». Et surtout, aux dirigeants, un appel sans détour : « gouverner dans la crainte de Dieu et la droiture ». Cet appel résonne comme un diagnostic sévère d’une gouvernance en échec. Comment en est-on arrivé là, alors que la riche région du Grand Katanga, poumon économique du pays, est désormais dans la ligne de mire des rebelles ?
Cette Journée nationale de jeûne et de prière en RDC ne se résume pas à un rituel. Elle s’inscrit dans une initiative plus vaste et cruciale : le Pacte social pour la paix et le bien-vivre ensemble dans la région des Grands Lacs, porté conjointement par l’ECC et la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO). Face à l’incapacité des solutions purement politiques et militaires, les Églises promeuvent une approche radicalement différente. Il s’agit de s’attaquer aux racines du mal – la haine, l’exclusion, l’avidité – par le dialogue interreligieux, des ateliers citoyens et la promotion du « bumuntu », cet idéal africain d’humanité profonde. Leur objectif ? Obtenir l’adhésion de tous les acteurs, y compris politiques, pour instaurer une stabilité durable basée sur la cohésion sociale et la fraternité.
Pourtant, le contraste est saisissant entre ces appels à la paix et la réalité du terrain. L’organisation de cette journée spirituelle intervient au moment même où la crise sécuritaire dans l’Est du Congo connaît une escalade dramatique. La prise d’Uvira par l’AFC/M23 n’est pas qu’un fait d’armes ; c’est un verrou stratégique qui saute, ouvrant potentiellement la voie aux rebelles vers le cœur économique du pays. Cette avancée survient dans le sillage des accords de Washington, signés sous médiation américaine entre Kinshasa et Kigali, et qui devaient acter un cessez-le-feu. Le résultat est tout autre : une dégradation accrue et un jeu pervers d’accusations mutuelles entre la RDC et le Rwanda. Où est passée la volonté de paix des puissances médiatrices ?
Le message final du Révérend Bokundoa a été un acte de foi pur, presque une prophétie : « La République Démocratique du Congo ne mourra pas ; elle vivra et publiera les œuvres de l’Éternel. » Derrière ces mots se cache une question brûlante : à qui revient le salut de la RDC ? Aux prières des croyants, au courage des artisans de paix locaux, ou à la responsabilité enfin assumée d’une classe politique et d’une communauté internationale trop souvent silencieuses ? L’Église du Christ au Congo, par cette journée, a posé un jalon. Elle a rappelé que face à la barbarie de la guerre et à la lâcheté de la corruption, il reste la force fragile mais obstinée de l’espérance collective. La restauration de la paix dans les Grands Lacs passera-t-elle par ce sursaut des consciences ? Le pays entier, à genoux, attend une réponse qui ne soit pas seulement céleste.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
