Le discours sur l’état de la Nation, prononcé par le Président Félix Tshisekedi devant le Parlement, a opéré comme un électrochoc dans les couloirs du pouvoir provincial. En pointant du doigt les défaillances de la gouvernance urbaine, le Chef de l’État a tacitement mis en demeure les exécutifs locaux, lançant un défi dont la capitale ne pouvait faire l’économie. La réaction du Gouverneur de la ville de Kinshasa, Daniel Bumba Lubaki, a été immédiate, épousant les contours d’une mise en œuvre silencieuse mais méthodique. Cette approche, délibérément low-profile, interroge : s’agit-il d’une réponse responsable à une injonction supérieure, ou d’une stratégie de prudence politique face à des attentes colossales ?
Plutôt que par des déclarations tonitruantes, le Gouverneur a opté pour une traduction administrative des recommandations présidentielles. Cette gouvernance urbaine Kinshasa version Bumba Lubaki se décline en une série d’initiatives sectorielles. L’assainissement Kinshasa revient ainsi au premier plan, avec le renforcement des activités dans des communes ciblées et une réorganisation en profondeur des services d’hygiène, longtemps considérés comme un maillon faible de la gestion municipale. Parallèlement, des opérations de dégagement des emprises publiques et des travaux de réhabilitation de voiries ont été (re)lancés, dessinant les prémisses d’une requalification de l’espace public.
Ces actions, si elles apparaissent techniques, sont lourdement chargées de sens politique. Elles matérialisent la prise en compte du discours présidentiel Tshisekedi comme un cadre d’action impératif. La lutte contre l’urbanisme non réglementé devient ainsi le cheval de bataille d’une administration désireuse de reprendre le contrôle d’une ville en proie à une croissance démographique anarchique. Mais cette dynamique, qualifiée de pragmatique par ses concepteurs, ne fait pas l’unanimité. Certains observateurs y voient une réponse parcellaire à des problèmes structurels, une course contre la montre pour montrer des résultats tangibles sans s’attaquer aux racines du mal.
L’ambition affichée d’améliorer la propreté, l’organisation et le fonctionnement général de Kinshasa est-elle à la hauteur des enjeux ? La méthode Bumba Lubaki, qui privilégie l’action concrète sur la communication, a le mérite d’éviter les promesses creuses. Elle place la responsabilité institutionnelle au cœur de son dispositif, faisant des directives du Président non pas un simple slogan mais une feuille de route opérationnelle. Cette mise en œuvre, sans fanfare, peut être interprétée comme une tentative de construire une crédibilité par les actes, dans un contexte où la parole politique est souvent discréditée.
Toutefois, cette approche comporte ses propres risques. En évitant de fixer un récit public fort autour de ces réformes, le Gouverneur s’expose à un déficit de visibilité et de soutien politique. Les chantiers d’assainissement et de lutte contre l’urbanisme RDC sauvage sont par nature des terrains minés, suscitant des résistances et des mécontentements localisés. Sans un capital politique et une adhésion populaire clairement établis, ces mesures techniques pourraient buter sur des obstacles sociaux insurmontables. La question sous-jacente est de savoir si cette gouvernance par les faits peut suffire à inverser la courbe du développement chaotique de la capitale.
À l’analyse, la réponse de Daniel Bumba Lubaki au discours présidentiel apparaît comme un pari calculé. Il s’agit ni plus ni moins de démontrer que l’exécutif provincial peut être un relai efficace de la vision de l’État, en transformant des orientations politiques générales en actions de terrain spécifiques. Le succès de ce pari se mesurera à l’aune des résultats concrets et durables sur la vie des Kinois. Les prochains mois seront décisifs pour juger si cette dynamique silencieuse porte en elle les germes d’une véritable transformation de la gouvernance urbaine ou si elle restera un épisode de gestion courante noyé dans l’immensité des défis kinois. L’enjeu, pour le Gouverneur, est de prouver que l’on peut améliorer Kinshasa sans faire de bruit, dans un environnement politique où le vacarme médiatique est souvent la norme.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
