L’atmosphère était à la fois studieuse et électrique, ce samedi dans l’enceinte cinématographique de l’Institut français de Kinshasa. Entre les murs où résonnent habituellement les dialogues du 7e art, c’est un autre récit, bien réel et crucial pour l’avenir de la création congolaise, qui s’est déployé. Une rencontre, organisée avec le Kongo Music Expo, a placé sous le feu des projecteurs les fragilités chroniques du système de propriété intellectuelle RDC. Le thème, « Regards croisés sur les mécanismes de promotion et de protection des droits d’auteur et droits voisins », sonnait comme un diagnostic attendu pour une industrie culturelle en pleine effervescence mais encore trop souvent spoliée.
Animé par la plume experte du Professeur Théodore Nganzi et modéré par l’opérateur culturel Randy Kalay, l’échange a rapidement transcendé le simple cadre théorique pour toucher aux nerfs d’une économie de la création à bout de souffle. D’emblée, un constat sévère a été dressé : la République Démocratique du Congo accuse un retard structurel embarrassant. Comment, en effet, envisager l’épanouissement des droits d’auteur artistes congolais lorsque des pans entiers de la création moderne, à l’instar des logiciels et des bases de données, peinent à être reconnus et protection œuvres RDC ? Le professeur Nganzi a pointé cette dissonance avec les normes internationales, une faille qui isole les créateurs dans un écosystème juridique obsolète.
Mais le malaise ne s’arrête pas là. Le cœur du problème semble battre au rythme d’un monopole essoufflé. Le modèle actuel de gestion collective droits RDC, confié à une seule entité, a été décortiqué sans complaisance. Cette architecture, présentée comme un vestige d’un autre temps, engendrerait des « réels problèmes de performance, de transparence et de redevabilité ». Les mots sont lourds de sens. Ils dessinent le portrait d’un système où les redevances, ce sang financier vital pour les artistes, ne circulent plus. Le droit de suite, la rémunération pour copie privée, les fruits de l’exploitation numérique… autant de sources potentielles de revenus qui semblent s’évaporer dans les méandres d’une gestion opaque. Comment les créateurs peuvent-ils se consacrer sereinement à leur art lorsqu’une telle précarité juridique et économique plane sur leurs œuvres ?
Face à ce tableau en demi-teinte, Randy Kalay a enfoncé le clou sur un point fondamental : l’ignorance. De nombreux artistes congolais naviguent dans un brouillard juridique, ne maîtrisant pas les mécanismes de protection qui, pourtant, existent. Cette méconnaissance les rend vulnérables, proies faciles pour les exploitants peu scrupuleux ou les plateformes numériques globalisées. La conférence à l’Institut français Kinshasa conférence a ainsi révélé une double urgence : réformer les structures et éduquer les acteurs.
L’espoir, cependant, n’est pas absent du débat. Il réside dans le regard tourné vers l’extérieur. La comparaison internationale s’impose comme un levier de progrès incontournable. Les intervenants ont invité à s’inspirer des modèles ivoiriens ou européens, non pour les copier servilement, mais pour en extraire la substantifique moelle et l’adapter au terreau congolais. « Les droits d’auteur et droits voisins représentent un levier économique très important pour les créateurs », a rappelé le professeur Nganzi. Moderniser le système dépasse donc la simple mise à jour juridique ; c’est un impératif stratégique pour capturer la valeur économique générée par une culture congolaise qui rayonne bien au-delà de ses frontières.
Cette première session d’un cycle dédié à la propriété intellectuelle s’achève ainsi sur une note d’appel à l’action. Les recommandations formulées dans la pénombre de la salle de cinéma sont destinées à alimenter les réflexions du ministère de la Culture. La route est longue pour aligner le cadre congolais sur les standards qui permettent aux créateurs de vivre dignement de leur travail. Mais les paroles échangées à l’Institut français de Kinshasa auront au moins eu le mérite de poser un diagnostic clair et d’allumer une lumière. Dans l’ombre portée des œuvres non protégées et des redevances impayées, une lueur d’espoir se dessine, celle d’une reconnaissance enfin à la hauteur du talent foisonnant qui caractérise la scène artistique de la RDC.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Actualite.cd
