Dans un contexte de tensions régionales persistantes et de scepticisme populaire, le Président Félix Tshisekedi a choisi la tribune solennelle du discours sur l’état de la Nation pour adresser une question brûlante : l’accord de paix RDC Rwanda, scellé sous l’égide de l’ancien président américain Donald Trump. Ce discours, attendu et décrypté à la loupe, visait moins à annoncer de nouvelles mesures qu’à désamorcer une bombe politique. Le chef de l’État s’est érigé en garant d’une ligne rouge intangible : la préservation de la souveraineté nationale RDC. Mais cette affirmation répétée, presque incantatoire, ne trahit-elle pas l’existence de craintes profondes, voire d’une défiance qu’il peine à apaiser ?
Face aux parlementaires réunis, Tshisekedi a déployé une rhétorique de la réassurance, articulée autour de dénégations catégoriques. « Ces accords ne valident ni les prétentions territoriales de qui que ce soit, ni le bradage de nos ressources. Ils ne constituent pas non plus une amnistie pour des crimes. La justice se poursuivra », a-t-il martelé. Cette triple négation – pas de territoire cédé, pas de ressources brader, pas d’impunité – dessine en creux le spectre des accusations qui circulent dans l’opinion et parmi les oppositions. En insistant sur le fait que la médiation Donald Trump n’a pas conduit à un recul de l’État de droit, le Président tente de répondre à ceux qui voient dans cet accord un compromis dangereux, voire une capitulation déguisée. La stratégie est claire : couper l’herbe sous le pied des critiques en prenant les devants sur leurs arguments les plus sensibles.
Pourtant, au-delà des déclarations de principe, le discours laisse dans l’ombre les modalités concrètes de cet accord et ses implications géopolitiques à long terme. Si la souveraineté est préservée « sur le papier », quels sont les mécanismes de vérification et de sanction en cas de violation ? L’engagement de poursuivre la justice, notamment pour les crimes les plus graves, sera-t-il compatible avec les impératifs de pacification qui sous-tendent tout processus de paix ? Le Président joue ici un jeu d’équilibriste périlleux, cherchant à satisfaire à la fois la communauté internationale – et son médiateur américain – et une base nationale exigeante en matière de défense des intérêts congolais. Le risque est de voir cette position, si elle n’est pas étayée par des actes forts, perçue comme un simple exercice de communication.
Le second volet du discours état de la Nation Tshisekedi a opéré un virage poignant vers la dimension humaine des conflits. S’adressant directement aux victimes, le chef de l’État a promis : « À celles et ceux qui portent encore les stigmates de ces drames — blessés, déplacés, populations contraintes à la peur et à l’errance — je veux dire : votre souffrance ne nous est ni étrangère ni indifférente. L’État est et restera à vos côtés. » Cette promesse de solidarité envers les personnes déplacées RDC vise à ancrer le discours politique dans la réalité tragique de millions de Congolais. Elle constitue un effort manifeste pour humaniser un exercice souvent très protocolaire et redonner une légitimité émotionnelle à l’action gouvernementale.
Mais là encore, la promesse rencontre le défi de la traduction en actes. Le déplacement massif de populations reste une crise humanitaire majeure, et l’engagement étatique « à vos côtés » devra se mesurer à l’aune des budgets alloués à la réinsertion, de la sécurisation effective des zones de retour et de la lutte contre l’impunité des groupes armés. Cette déclaration de compassion est-elle le prélude à un plan d’urgence concret, ou restera-t-elle un vœu pieux dans un contexte de ressources limitées ? La crédibilité future du gouvernement sur ce sujet capital en dépend.
En définitive, ce discours sur l’état de la Nation apparaît comme une opération de consolidation politique à double détente. D’un côté, il s’agit de légitimer un accord de paix controversé en en niant les conséquences les plus redoutées par l’opinion. De l’autre, il faut capter l’empathie en se faisant le porte-voix des souffrances des déplacés. La véritable épreuve pour Félix Tshisekedi commence maintenant : celle de la mise en œuvre. Les prochains mois révéleront si les assurances solennelles données devant le Parlement résisteront à la complexité du terrain et aux pressions contradictoires. L’équilibre est fragile entre la nécessité de la paix et la défense intransigeante de la souveraineté ; entre les mots réconfortants et les actions réparatrices. La nation congolaise, meurtrie mais vigilante, attend désormais des preuves.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
