La scène politique congolaise connaît une nouvelle secousse avec la présentation, ce jeudi 4 décembre à Kinshasa, du manifeste du Front pour la Quatrième République. Cette plateforme, qui se pose en vigie critique de l’ordre constitutionnel actuel, lance une offensive idéologique de grande envergure en proposant rien de moins que l’« universalité de la limitation des mandats électifs ». Une proposition qui, si elle était adoptée, redéfinirait radicalement les règles du jeu démocratique en République Démocratique du Congo et toucherait l’ensemble des fonctions électives, du national au local. Cette audace programmatique s’accompagne d’un diagnostic sans concession sur l’échec présumé de la Constitution de 2006, ouvrant un débat fondamental sur l’architecture même de l’État.
Le Front pour la Quatrième République ne se contente pas d’une simple critique ; il dresse un constat d’échec politique cinglant. Après près de deux décennies d’application, les « dispositions intangibles » de la Loi fondamentale n’auraient, selon ses analyses, produit aucun des effets stabilisateurs escomptés. Au contraire, elles auraient « fragilisé la stabilité politique, compromis l’efficacité de l’État et freiné l’émergence d’une véritable démocratie de responsabilité ». Ce réquisitoire place la barre très haut pour toute réforme future et pose une question essentielle : la refonte des institutions est-elle la clé pour briser les cycles de crise qui paralysent le pays ?
La réponse de la plateforme est résolument institutionnelle et passe par une restructuration en profondeur du pluralisme politique en RDC. Son porte-parole, Francis Okito, a plaidé avec force pour une gouvernance fondée sur « la compétence, la probité et l’équité territoriale », explicitement opposée à un modèle reposerait sur « l’appartenance tribale ou ethnique ». Ce plaidoyer pour le méritocratie sonne comme une critique voilée des pratiques clientélistes qui persistent dans la gestion du pays. Mais les propositions concrètes frappent encore plus fort : le Front préconise la suppression pure et simple des gouvernements et des assemblées au niveau des provinces. Une mesure choc qui viserait à simplifier une administration souvent décriée pour sa lourdeur et son inefficacité.
« Les chefs de divisions, les bourgmestres, les administrateurs de territoires ainsi que les chefs de secteurs suffisent, plutôt que d’avoir dix ministres provinciaux avec des commissaires généraux qui ne font rien », a asséné Francis Okito devant les médias. Cette vision d’un État dégraissé et recentré sur ses missions régaliennes interroge le modèle de décentralisation tel qu’il a été pensé jusqu’à présent. Le manifeste va plus loin en s’attaquant également aux mécanismes de suppléance, proposant de la confier « au deuxième candidat le mieux élu d’une circonscription électorale », plutôt qu’à un proche du titulaire. Une proposition qui entend lutter contre les dynasties politiques informelles et renforcer la légitimité démocratique.
Le chantier judiciaire n’est pas en reste dans cette vaste réforme politique envisagée pour la RDC. Le Front constate amèrement que « l’indépendance du pouvoir judiciaire » proclamée par la Constitution n’a pas réussi à protéger l’institution des ingérences politiques. Francis Okito a souligné la nécessité d’une « séparation stricte entre les juges, les parquets et le pouvoir exécutif ». Cette remise à plat du système judiciaire apparaît comme le complément indispensable à toute révision constitutionnelle, visant à restaurer une justice crédible, pierre angulaire de tout État de droit.
L’ambition du Front pour la Quatrième République est donc totale. Son manifeste n’est pas une simple liste de vœux, mais un projet de refondation qui remet en cause des équilibres institutionnels vieux de près de vingt ans. La limitation universelle des mandats constituerait une révolution dans une région où les tendances à la longévité au pouvoir restent tenaces. La centralisation proposée via la suppression des entités provinciales va à contre-courant des mouvements de dévolution des pouvoirs observés ailleurs. Ce programme pose une question stratégique majeure : les forces politiques en place sont-elles prêtes à engager un tel démantèlement de structures dont beaucoup tirent leur influence et leurs ressources ? Le pari est risqué, mais il a le mérite de poser clairement les termes d’un débat national trop souvent esquivé sur l’avenir institutionnel de la RDC. La suite dépendra de la capacité de cette plateforme à transformer son manifeste en une force politique concrète, capable de peser sur l’agenda national.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
