La scène musicale congolaise vibre au rythme d’une question aussi spirituelle que terre-à-terre : la rémunération des artistes gospel. Dans une République Démocratique du Congo où la musique religieuse pulse au cœur des villes et des villages, un débat passionné agite les esprits, oscillant entre la vocation divine et le droit légitime au salaire. Le pasteur Marcello Tunasi a récemment jeté une pierre dans cette mare tranquille, suscitant un véritable branle-bas de combat. D’un côté, la mission évangélique ; de l’autre, la reconnaissance d’un travail artistique exigeant. Où se trouve la juste mesure ?
L’écosystème musical congolais est en pleine effervescence, et les artistes gospel, porteurs d’un message de foi, sont à la croisée des chemins. Leur art, souvent considéré comme un ministère, peut-il être dissocié de la nécessité de vivre décemment de son travail ? Cette interrogation n’est pas nouvelle, mais les déclarations du pasteur Marcello Tunasi de l’église la Compassion lui ont insufflé une vigueur nouvelle. « Je ne croirai jamais aux musiciens qui demandent de l’argent avant de chanter dans une église », a-t-il asséné lors d’un séminaire, pointant du doigt ce qu’il perçoit comme une dérive mercantile. Ses paroles, tranchantes comme une lame, ont immédiatement résonné comme un coup de tonnerre dans le ciel serein de la musique religieuse congolaise.
Pourtant, derrière ces mots se cache une réalité complexe. Les artistes gospel congolais, à l’instar de leurs pairs des autres genres, consacrent des années à parfaire leur art. Ils investissent dans leur formation, paient des frais académiques, et travaillent sans relâche pour offrir des prestations de qualité. Le guitariste Tressy Kalala, dans une réponse cinglante, a rappelé cet investissement : « Quand d’autres sont allés étudier la comptabilité, nous, nous sommes allés à l’INA et avons payé des frais académiques pour cela. » Sa voix, portée par la conviction, soulève une question fondamentale : le don reçu doit-il obligatoirement s’exercer gratuitement ? N’est-ce pas méconnaître la valeur du travail et de l’engagement ?
Le débat sur la rémunération des musiciens gospel en RDC dépasse la simple anecdote. Il touche à la structuration même du secteur culturel et au statut de l’artiste. La loi congolaise, notamment la loi N°16/010 du 15 juillet 2016, reconnaît et protège le droit des artistes à une rémunération. Cette reconnaissance légale est un pilier essentiel pour assurer leur protection sociale et valoriser leur contribution à la richesse culturelle nationale. Ignorer ce cadre, c’est risquer de fragiliser tout un pan de la création artistique. D’ailleurs, la Bible elle-même ne dit-elle pas que « l’ouvrier mérite son salaire » ? Cette référence scripturaire, souvent invoquée, apporte une profondeur théologique au débat et interroge les fondements de la pratique religieuse.
Les réactions au discours du pasteur Marcello Tunasi ont été vives et partagées. Si certains fidèles ou responsables d’église voient dans l’exigence d’un cachet une forme de cupidité éloignée de l’esprit du ministère, une grande partie de la communauté artistique et du public perçoit cette position comme anachronique et injuste. Comment, en effet, envisager d’inviter des ténors internationaux du gospel comme Sinach ou KS Bloom sans prévoir une contrepartie financière ? La professionnalisation de la musique gospel est une réalité mondiale, et la RDC ne fait pas exception. Le droit des artistes de musique religieuse à vivre de leur art est un combat légitime qui s’inscrit dans une dynamique plus large de reconnaissance de la valeur économique de la culture.
Ce débat, loin d’être purement théorique, a des implications concrètes pour l’avenir de la musique gospel en République Démocratique du Congo. Valoriser le travail des artistes, c’est encourager la qualité, l’innovation et la pérennité de cet héritage musical précieux. C’est aussi permettre à de nouveaux talents d’envisager une carrière sans avoir à choisir entre leur foi et leur survie économique. La polémique initiée par Marcello Tunasi, en révélant ces tensions, ouvre une opportunité unique de dialogue et de clarification. Elle invite à repenser les modèles de collaboration entre les églises et les artistes, pour concilier mission spirituelle et justice sociale.
En définitive, la question du cachet des artistes gospel est bien plus qu’une simple discussion sur l’argent. Elle est le reflet des transformations profondes que traverse la société congolaise, tiraillée entre tradition et modernité, entre vocation et profession. La passion déployée dans ce débat témoigne de l’amour profond que portent les Congolais pour leur musique et de leur attachement à des valeurs de justice et de respect. L’avenir de la musique religieuse en RDC se construira peut-être sur cette capacité à honorer à la fois le message sacré qu’elle porte et les femmes et les hommes qui, par leur talent et leur dévouement, le font résonner si puissamment.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Eventsrdc
