Que reste-t-il de l’héritage de la Bienheureuse Anuarite Nengapeta dans la conscience collective congolaise, soixante-et-un ans après son sacrifice ultime ? À Beni, où la commémoration de son martyre a résonné le 1er décembre 2025, la question plane, lourde de sens, dans un pays où les repères moraux semblent parfois vaciller. Le père Jean-Baptiste Migheri, recteur de l’Université de l’Assomption du Congo (UAC), a saisi cette tribune pour lancer un cri du cœur, un appel pressant adressé à toute une nation, et plus particulièrement à sa jeunesse.
« La nation congolaise souffre d’un déficit de fidélité aux valeurs », a-t-il constaté, la voix empreinte d’une gravité qui n’a pas échappé à l’assemblée. Honnêteté, intégrité, amour de la patrie… Ces principes, martelés par l’homme d’Église, semblent aujourd’hui relégués au second plan, étouffés par les sirènes d’un individualisme croissant et les logiques de survie dans un contexte socio-économique et sécuritaire difficile. Pourtant, comment bâtir un avenir commun sans ces fondations essentielles ? Le père Migheri pointe du doigt un manque criant : la mise en valeur insuffisante, dans l’éducation des jeunes, de modèles de vertu comme Anuarite Nengapeta. Ces figures, pourtant, incarnent des repères lumineux, des phares dans la brume des compromissions.
Le message du recteur de l’UAC est sans équivoque : commémorer Anuarite, ce n’est pas un simple exercice de mémoire historique. C’est un « appel quotidien à la résistance ». Résistance contre quoi ? Contre la manipulation des consciences, contre la tentation de troquer ses principes contre un confort immédiat, contre l’érosion lente mais sûre de l’éthique dans la sphère publique comme privée. Dans une République Démocratique du Congo en proie à de multiples crises, cet appel résonne comme un impératif de survie collective. Anuarite, par son refus catégorique et son sacrifice suprême, rappelle que certaines lignes ne doivent jamais être franchies, que la dignité humaine a un prix qui dépasse celui de la simple existence.
Le père Jean-Baptiste Migheri n’a pas manqué d’évoquer un autre modèle, plus contemporain, pour la jeunesse congolaise : Floribert Bwanachui, jeune martyr de Goma récemment béatifié. En associant ces deux figures, le message prend une dimension universelle et intemporelle. Il ne s’agit pas d’un idéal réservé à une époque révolue, mais d’une exigence permanente. Floribert et Anuarite, chacun dans leur contexte, ont fait le choix radical de la loyauté et du sacrifice pour le bien commun. Leur exemple interpelle directement une génération souvent accusée de se complaire dans l’instantanéité et le matérialisme. Que signifie, aujourd’hui, être fidèle à ses valeurs dans les universités, sur le marché de l’emploi, dans l’arène politique ou simplement dans le quartier ?
Le constat du père Migheri est sévère : dans le contexte actuel, la survie personnelle est trop souvent privilégiée au détriment des principes. Pourtant, cette commémoration à Beni cherche justement à inverser cette logique. Mourir pour une cause juste, affirme-t-il en reprenant l’essence du sacrifice d’Anuarite, n’est « pas un acte de naïveté, mais un témoignage puissant de foi et de dignité humaine ». C’est un acte de courage qui redéfinit les contours de ce qui est essentiel. Dans un pays où les vies sont trop fréquemment brisées par la violence et l’arbitraire, cette réflexion sur le sens du sacrifice et la mort digne touche une corde particulièrement sensible.
Finalement, cette commémoration dépasse le cadre strictement religieux. Elle se veut un catalyseur pour un sursaut moral et patriotique. Alors que la RDC est secouée par des défis sécuritaires majeurs à l’Est et des tensions politiques récurrentes, le rappel des valeurs morales portées par Anuarite Nengapeta apparaît comme une nécessité vitale. Le père Migheri, en s’adressant directement à la jeunesse congolaise, place l’avenir du pays entre ses mains. Saura-t-elle s’inspirer de la martyr Anuarite Nengapeta pour refuser les manipulations, l’apathie et la corruption ? L’appel lancé lors de cette commémoration Beni est clair : la reconstruction nationale passe impérativement par une renaissance éthique individuelle et collective. Le message du père Jean-Baptiste Migheri n’est pas une leçon du passé, mais une feuille de route pour l’avenir. La balle est désormais dans le camp de toute une génération. Répondra-t-elle à cet appel à incarner, dans le quotidien, la fidélité et le courage dont Anuarite a donné l’ultime démonstration ?
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
