L’air conditionné murmure une mélodie froide dans le couloir de l’hôpital, où l’urgence silencieuse contraste avec la chaleur des mélodies qu’il a données au monde. Lundi, entre ces murs aseptisés, un geste politique a pris la forme d’une visite humaine. Yolande Elebe Ma Ndembo, ministre de la Culture, Arts et Patrimoine, s’est penchée sur le lit où repose Pascal Poba, parolier légendaire, aujourd’hui corps fragile et voix affaiblie. Sa présence n’était pas un simple protocole, mais un symbole poignant : celui d’une nation venant écouter le souffle de l’un de ses plus grands conteurs.
L’image, diffusée par les réseaux sociaux, avait ébranlé la communauté : Pascal Poba, l’homme derrière des hymnes qui ont bercé des générations, appelant à l’aide depuis un lit d’hôpital, le visage marqué par la maladie. Un cri de cœur devenu viral, réveillant une conscience collective souvent endormie. La visite ministérielle est survenue dans ce sillage d’émoi, transformant une inquiétude privée en un sujet d’intérêt public. La ministre a longuement échangé avec la famille éprouvée et l’équipe médicale, s’enquérant avec une attention palpable de l’évolution de son état de santé. Dans cette chambre d’hôpital, c’est toute la condition précaire de l’artiste congolais qui se donnait à voir.
Le communiqué publié à la suite de cette visite a donné une résonance politique à ce geste de solidarité. Le cabinet de la ministre a rappelé l’attachement institutionnel « aux créateurs qui, comme lui, contribuent à transmettre et préserver notre identité culturelle ». Mais au-delà des vœux de prompt rétablissement, le texte a touché un nerf essentiel, soulignant « l’importance de la couverture santé universelle au bénéfice des artistes et acteurs culturels ». Cette mention n’est pas anodine ; elle fait écho à un chantier récemment engagé avec le ministère de la Santé. La santé des artistes en RDC, souvent laissée en jachère, devient-elle enfin une priorité ? La maladie de Poba agit comme un révélateur cruel des failles d’un système.
Né à Boma il y a soixante-six ans, Pascal Poba est l’architecte discret d’une part majeure du patrimoine musical congolais. Son œuvre est une constellation de tubes : de « Maman » immortalisée par Papa Wemba à « Omba » et « Feu de l’amour » portés par JB Mpiana, en passant par « Voyage » (Adolphe Dominguez) ou « Tshatsho Mbala » (Werrason). Il a tissé la bande-son de nos émotions, nos danses, nos nostalgies. Pourtant, dans une vidéo ancienne et douloureusement visionnée ces derniers jours, l’artiste confessait une amertume profonde : « La musique ne m’a rien donnée. J’ai donné des chansons aux gens. 5 000 USD ou 30 000 USD, rien. » Ce contraste entre l’immensité de l’apport culturel et la précarité de la condition physique et financière est un paradoxe qui frappe au cœur.
La mobilisation actuelle dépasse donc le simple fait divers. Elle interroge notre rapport collectif à ceux qui forgent notre imaginaire. Que reste-t-il de ceux qui ont écrit la bande-son de notre mémoire collective lorsque la maladie frappe à leur porte ? Les réactions outrées d’artistes et de mélomanes sur les réseaux sociaux témoignent d’une prise de conscience aiguë. La visite de la ministre, aussi nécessaire soit-elle, ne saurait être qu’un pansement sur une blessure structurelle. Le chantier de la couverture santé universelle pour les artistes évoqué par le communiqué doit devenir une réalité tangible, une promesse tenue, pour que le génie créatif ne soit plus synonyme de vulnérabilité absolue.
Le chemin de la guérison pour Pascal Poba s’annonce long. Mais peut-être que de cette épreuve individuelle naîtra une avancée collective. La lumière projetée sur son cas pourrait enfin accélérer la mise en place de mécanismes de protection solides pour tous les artisans de la culture congolaise. L’enjeu est de taille : il s’agit de garantir que ceux qui embellissent la vie de la nation ne soient pas abandonnés dans leurs moments les plus sombres. La visite au chevet du parolier congolais malade est un premier pas, émouvant et symbolique. Le prochain doit être politique, concret et irréversible, pour honorer dignement ceux qui, comme Poba, ont offert leur âme à la musique.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Actualite.cd
