Le silence des vagues à Kimuabi n’est plus rompu par le ronronnement des hors-bord. Depuis ce jour de juin où les uniformes de la marine angolaise sont apparus à l’horizon, la vie de Jean-Pierre*, pêcheur de père en fils, s’est brisée. « Ils ont pris notre pirogue, le moteur, nos filets… tout. Comment nourrir ma famille maintenant ? Mes enfants ne vont plus à l’école », confie-t-il, la voix nouée par une colère impuissante. Son témoignage est celui de près de 280 pêcheurs du territoire de Moanda, au Kongo Central, plongés dans un désarroi absolu après la confiscation de leurs équipements de pêche par la marine angolaise. Un acte qui a transformé une communauté autrefois prospère en un théâtre de détresse sociale.
Martin Kula, président de ces pêcheurs Kimuabi, a lancé un cri d’alarme le 1er décembre 2025, appelant à une intervention urgente des autorités congolaises. La liste des biens saisis le 26 juin dernier est un inventaire de la ruine : 23 pirogues moteurs, 11 moteurs, 114 téléphones, 11 filets, 175 pagailles. Autant d’outils de travail vitaux, arrachant brutalement à l’emploi des centaines d’hommes et, par ricochet, leurs dépendants. Comment une activité économique ancestrale a-t-elle pu être anéantie en quelques heures ? La raison officielle invoquée par les autorités angolaises – la violation des eaux territoriales – semble bien mince face à l’ampleur du désastre humanitaire qu’elle a engendré.
La situation sur place est décrite comme catastrophique. « La souffrance, la non-scolarité des enfants, le manque de moyens financiers et l’insécurité se sont installées », déplore Martin Kula. Sans revenus, les familles se serrent la ceinture. Les repas se font rares, et l’ombre de la malnutrition plane. L’école, premier poste de dépense à être sacrifié, voit ses effectifs fondre. Cette crise de la pêche au Kongo Central crée un terreau fertile pour tous les trafics et expose une population déjà vulnérable à des risques accrus. Où sont les filets de sécurité sociale pour ces citoyens congolais abandonnés à leur sort ?
Les répercussions économiques dépassent largement le cercle des seuls pêcheurs congolais arrêtés et relâchés. Kimuabi était un hub important d’approvisionnement en poissons fumés pour les marchés de Matadi et de Kinshasa. Aujourd’hui, les étals sont vides, ou presque. La loi de l’offre et de la demande a frappé : à Matadi, le prix du poisson fumé en provenance de la zone a flambé, alourdissant un peu plus le panier de la ménagère dans une période déjà marquée par une inflation galopante. Cette confiscation par la marine angolaise étouffe donc toute une chaîne économique, des producteurs aux consommateurs, accentuée par les tensions latentes du conflit frontalier RDC-Angola.
L’intervention des autorités congolaises avait permis la libération des hommes après plusieurs jours de détention. Mais cette victoire diplomatique reste amère et incomplète sans la restitution du matériel. Le travail reprendrait-il si les ouvriers se voyaient refuser leurs marteaux et leurs scies ? La question de la souveraineté et de la coopération transfrontalière est ici posée avec acuité. Les eaux du fleuve Congo et de l’Atlantique doivent-elles être une source de conflit ou de prospérité partagée pour les communautés riveraines ? La balle est désormais dans le camp des gouvernements. L’appel des pêcheurs de Kimuabi est un test : la RDC saura-t-elle défendre les intérêts économiques et sociaux de ses citoyens les plus exposés, ou laissera-t-elle pourrir une situation qui mine la stabilité d’une région entière ? L’enjeu dépasse la simple restitution de biens ; il touche à la dignité, à la sécurité alimentaire et à la paix sociale au cœur du Kongo Central.
*Le prénom a été modifié à sa demande.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
