Entre les murs d’un Kinshasa vibrant d’émotion, une silhouette familière du théâtre congolais renaît de ses cendres. Charlène Moke, que les mélomanes reconnaissent sous les noms de scène Chalamama ou Charlène Benz, pose à nouveau ses pas sur les planches sacrées de l’art engagé. Vingt ans après avoir illuminé les scènes avec les célèbres « Nanas Benz » du groupe Cinarc, l’actrice congolaise déploie aujourd’hui les ailes d’un projet cinématographique aux ambitions monumentales.
« L’enfer à l’Est » n’est pas qu’un simple long métrage – c’est un cri déchirant qui traverse trois décennies de souffrances, un témoignage visuel des violences qui déchirent l’Est de la République démocratique du Congo. Comment l’art peut-il devenir le porte-voix des sans-voix ? Comment le septième art congolais peut-il transformer la douleur en une force créatrice capable d’ébranler les consciences internationales ?
La présentation officielle du projet a réuni dans la capitale congolaise un aréopage impressionnant : du ministre des Droits humains Samuel Mbemba à la vice-présidente de la Commission nationale des droits de l’homme Grâce Wamba, en passant par les activistes de la société civile et les figures emblématiques du cinéma national. Dans cette assemblée où l’art rencontrait la politique, où la création épousait le militantisme, une conviction unanime émergeait : le temps est venu de nommer l’innommable.
Le professeur Baroani, dans un exposé aussi clair que troublant, a rappelé l’urgence de reconnaître le Genocost RDC. Sa voix, grave et déterminée, a tracé les contours d’une tragédie qui dépasse l’entendement : définir le génocide, comprendre ses mécanismes, identifier ses protagonistes. Puis vint le moment des échanges, où l’acteur Faustin Sukari, dit « Elombe », a lancé un plaidoyer vibrant pour une implication réelle des artistes dans la vulgarisation du Genocost. « Ne nous invitez pas comme simples spectateurs », semblait-il dire, « mais comme acteurs à part entière de cette lutte mémorielle ».
Nathalie Atatama, représentant Charlène Moke Tshibangu, a ensuite dévoilé les ambitions du projet avec une émotion contenue. La projection d’une vidéo montrant les actions de la Fondation Charlène Moke Tshibangu à Kisangani, Mbuji-Mayi et Kananga a offert un avant-goût de l’engagement total de l’artiste. Puis résonna une chanson sortie en 2004 et remixée cette année, dont les paroles portent l’écho des familles déchirées par les violences est RDC. « Le Congo a assez compté ses morts », a affirmé Nathalie Atatama, sa voix chargée de cette douleur collective qui transcende les générations.
Grâce Wamba, dans une intervention marquée par la gravité du moment, a salué cette initiative tout en rappelant l’implacable réalité : « Le Genocost en RDC est une réalité. Ces pillages systématiques de nos ressources naturelles orchestrés par le Rwanda et ces massacres organisés de nos populations doivent être dénoncés et reconnus. » Ses mots résonnaient comme une validation officielle de l’urgence que porte le film de Charlène Moke.
Le ministre Samuel Mbemba, dans un discours enflammé, a transformé la salle en chambre d’échos des souffrances congolaises. Évoquant les récents événements de Goma où les rebelles du M23, soutenus par le Rwanda, continuent leurs exactions, il a rappelé l’ampleur du drame : « Nous sommes aujourd’hui à plus de 10 millions de morts. Le nombre de morts en RDC est supérieur à celui d’autres génocides reconnus. » Son message était clair : « L’enfer à l’Est » n’est pas qu’une œuvre cinématographique, c’est une arme de reconstruction mémorielle.
Caleb Tukebana, l’encadreur historique de Charlène Moke, a conclu cette cérémonie en confiant ses souvenirs et ses espérances. « Lorsque nous avons débuté dans le théâtre avec Charlène Moke Tshibangu, elle était déjà une femme pleine d’ambitions. » Sa promesse d’accompagner ce projet jusqu’à son aboutissement portait en elle toute la fierté d’une génération d’artistes congolais déterminés à transformer leur art en instrument de libération.
Alors que le ruban symbolique était coupé, lançant officiellement le tournage de « L’enfer à l’Est », une question planait dans l’air chargé d’émotion : le cinéma congolais peut-il devenir le tribunal des consciences où se joue la reconnaissance internationale du génocide congolais ? Charlène Moke, par son retour remarqué, semble prête à relever ce défi historique, portant sur ses épaules les espoirs de tout un peuple meurtri mais debout.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Actualite.cd
