Dans les artères congestionnées de Kinshasa, une armée de deux-roues slalome entre les voitures immobilisées. « Sans les wewas, je perdrais mon emploi à cause des retards », confie Marie, employée dans une microfinance, tandis qu’elle enjambe prudemment la moto taxi qui la mènera à son bureau. Comme elle, 67% des Kinois reconnaissent avoir recours aux motos taxis pour leurs déplacements quotidiens, selon un récent sondage. Cette dépendance collective révèle une crise des transports urbains aux multiples facettes.
Comment une capitale de 10 000 kilomètres carrés en est-elle arrivée à dépendre à ce point des motos ? La faillite successive des entreprises publiques de transport n’explique pas tout. Les embouteillages monstres, les routes dégradées et l’arrêt quasi-total du train urbain depuis dix ans ont créé un terrain propice à l’émergence des wewas. Face à une démographie galopante – Kinshasa compte désormais 17 millions d’habitants – ces motocyclistes sont devenus les artères vitales d’une métropole asphyxiée.
Derrière ce phénomène de société se cache une réalité économique cruciale. Les 300 000 wewas estimés dans la capitale constituent un pilier de l’économie informelle en RDC. Chaque moto en activité peut générer entre 20 et 30 dollars quotidiennement, une manne financière significative dans un pays où 73,5% de la population vit avec moins de 2,15 dollars par jour. « En décembre, lors des pics de consommation, certains conducteurs atteignent 50 dollars par jour », témoigne Cédric, trentenaire et wewa depuis cinq ans.
Cette activité représente-t-elle pour autant un choix de carrière assumé ? La majorité de ces jeunes conducteurs considèrent cette occupation comme un pis-aller face au chômage endémique. « Je cherche toujours un vrai travail », avoue Marcel Tumba, tout en ajustant son casque. Un économiste interrogé relativise cette perception : « Du point de vue économique, le travail n’a rien à voir avec une idée de fierté. Il s’agit de toute activité qui génère des revenus. » Près de 800 000 personnes dans la mégapole dépendraient économiquement des revenus générés par les motos taxis à Kinshasa.
Mais cette résilience économique se heurte à des réalités quotidiennes difficiles. Les wewas dénoncent les « tracasseries » incessantes de la police routière qui, selon eux, use abusivement de son pouvoir. « Ils nous rançonnent, nous arrêtent sans raison valable », se plaint un conducteur, sous couvert d’anonymat. Cette précarité administrative s’ajoute aux risques permanents de la circulation kinoise.
Socialement, les wewas ont su s’adapter au rythme trépidant de Kinshasa. Majoritairement originaires du Grand Kasaï, ces jeunes ont épousé les codes locaux tout en développant leur propre culture. Leur importance dépasse aujourd’hui le cadre purement économique : ils sont devenus une force politique non négligeable dans une ville où les enjeux politiques sont particulièrement passionnés.
Que nous révèle cette dépendance collective aux motos taxis sur l’état de notre société ? Au-delà de la simple question du transport urbain, les wewas incarnent la formidable capacité d’adaptation des jeunes Congolais face à l’effondrement des services publics. Ils représentent à la fois une solution immédiate et un symptôme préoccupant d’un système à bout de souffle. Alors que la RDC figure parmi les cinq nations les plus pauvres au monde, ces milliers de motos maintiennent à flot non seulement les déplacements, mais aussi l’économie informelle d’une capitale en constante expansion.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: mediacongo.net
