La République Démocratique du Congo semble enfin prendre à bras-le-corps l’épineux dossier du recensement général de sa population, plus de quatre décennies après le dernier exercice de ce type. Lors du récent Conseil des ministres, la Première ministre Judith Suminwa Tuluka a dévoilé les avancées – et les défis – du RGPH2, dans ce qui s’apparente à une course contre la montre pour doter le pays de données démographiques fiables.
Le tableau dressé par le gouvernement est à la fois porteur d’espoir et révélateur des immenses obstacles qui persistent. Avec 84% des aires de dénombrement provisoires déjà identifiées et une cartographie pilote menée sur trois sites tests, le processus montre des signes tangibles de progression. Mais comment expliquer que ce recensement population RDC, annoncé comme prioritaire, n’ait toujours pas quitté sa phase préparatoire après toutes ces années?
L’enjeu financier apparaît comme le principal écueil. Les besoins évalués à 188,47 millions de dollars américains pour la feuille de route 2025-2027 donnent la mesure de l’ambition – et du coût – de cette opération d’envergure nationale. La stratégie de financement mixte, associant budget national et appui des partenaires techniques comme la BAD et la Banque mondiale, témoigne d’une approche pragmatique, mais soulève une question cruciale : le gouvernement parviendra-t-il à mobiliser les près de 30 millions USD requis dès l’année prochaine pour la cartographie RDC 2025?
La dimension sécuritaire du recensement n’est pas en reste, avec des instructions spécifiques données au Vice-Premier ministre de la Défense pour organiser une réunion dédiée. Cette préoccupation reflète la complexité opérationnelle d’un exercice devant couvrir l’ensemble du territoire national, y compris les zones les plus reculées et parfois instables.
La numérisation intégrale du processus, présentée comme une rupture avec le recensement de 1984, constitue à la fois une innovation majeure et un défi technique considérable. Judith Suminwa recensement place ainsi son mandat sous le signe de la modernisation statistique, mais le succès de cette transformation digitale dépendra de la capacité à former les agents et à déployer les infrastructures nécessaires sur l’ensemble du territoire.
Les sites pilotes de Kasa-Vubu à Kinshasa, Bulungu au Kwilu et Tshikapa au Kasaï ont servi de laboratoire pour cette nouvelle approche. Leur évaluation déterminera la méthodologie qui sera appliquée à l’échelle nationale, dans ce qui s’annonce comme l’une des plus vastes opérations de collecte de données jamais entreprises en Afrique centrale.
Le budget recensement Congo devient ainsi un enjeu politique autant que technique. La transmission imminente des budgets détaillés pour décembre 2025 et janvier 2026, exigée par la Primature, marquera un premier test de crédibilité pour cet exercice dont l’échec pourrait fragiliser durablement la légitimité statistique de l’État congolais.
La détermination affichée par Judith Suminwa, présidente de la Commission nationale du recensement, contraste avec les lenteurs accumulées depuis 2013, date de la dernière réunion de pilotage. Le gouvernement pourra-t-il transformer l’essai et mener à bien ce projet dans les délais annoncés, ou assistera-t-on à un nouvel ajournement qui minerait la confiance des partenaires techniques et financiers?
L’enjeu dépasse la simple statistique démographique. Comme l’a souligné la cheffe du gouvernement, « la réussite des politiques publiques dépend de données fiables et actualisées ». Le RGPH2 représente ainsi un pari sur la capacité de l’État à planifier son développement sur des bases solides, dans un contexte où l’improvisation a trop souvent tenu lieu de politique.
La mutualisation des efforts recommandée par la CNR apparaît comme la clé de voûte de cette entreprise ambitieuse. Mais sa mise en œuvre concrète, dans un paysage institutionnel marqué par les cloisonnements et les rivalités administratives, constituera le véritable test de la volonté politique qui anime ce projet.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
