Le territoire de Rutshuru, au Nord-Kivu, vit actuellement l’une des crises humanitaires les plus alarmantes de la région. Des milliers de familles se retrouvent prises au piège entre la violence persistante et la faim grandissante, créant une situation où l’espoir cède progressivement la place au désespoir.
« Nous vivons les moments les plus difficiles de notre existence », confie Isaac Kibira, notable de Bambo, la voix empreinte d’une lassitude palpable. Son témoignage révèle l’ampleur du drame qui se joue dans l’ombre des conflits armés. Comment une région autrefois fertile peut-elle aujourd’hui sombrer dans la famine ? La réponse se trouve dans la destruction systématique des moyens de subsistance.
Les bananeraies, champs de maïs et de manioc – véritables poumons économiques de la zone – ont été méthodiquement détruits le long des axes routiers et même au cœur des exploitations agricoles. Cette stratégie de terre brûlée prive délibérément les populations de leurs ressources vitales, créant une dépendance totale à l’aide extérieure qui, ironiquement, ne parvient pas à atteindre ceux qui en ont le plus besoin.
La localité de Bambo, considérée comme un havre de sécurité relative, voit affluer plus de la moitié des habitants des villages environnants. Mais cette sécurité relative se paye au prix fort : surpopulation, conditions sanitaires déplorables et promiscuité deviennent le lot quotidien de milliers de déplacés. Que ressent-on lorsqu’en fuyant la guerre, on ne trouve que la misère ?
Les organisations humanitaires se heurtent à un mur d’insécurité qui bloque l’acheminement de l’assistance. Les routes deviennent des couloirs de la mort, les checkpoints illégaux se multiplient, et les humanitaires doivent constamment négocier leur passage avec des groupes armés imprévisibles. Cette réalité crée un cercle vicieux infernal : plus la crise s’aggrave, moins l’aide peut circuler, alimentant ainsi la crise elle-même.
« La population locale n’a pas cultivé suite aux différentes opérations militaires », explique Isaac Kibira, soulignant l’impact direct des violences sur la sécurité alimentaire. Cette situation illustre cruellement comment les conflits armés détruisent non seulement le présent mais hypothèquent également l’avenir des communautés. Sans semailles cette saison, comment imaginer des récoltes pour la prochaine ?
Les déplacements massifs de populations dans le Nord-Kivu créent une pression insoutenable sur les ressources déjà limitées des zones d’accueil. À Bambo-centre, Nyanzale et autres localités, les familles d’accueil partagent le peu qu’elles possèdent avec les déplacés, créant une solidarité fragile face à l’adversité commune. Mais jusqu’à quand cette entraide pourra-t-elle tenir face à l’ampleur des besoins ?
L’appel lancé par les autorités locales résonne comme un cri d’alarme dans le vide. Le gouvernement est interpellé pour créer les conditions d’un environnement protecteur, permettant non seulement l’acheminement de l’aide mais aussi le retour progressif des déplacés dans leurs villages. Car au-delà de l’urgence alimentaire, c’est la reconstruction du tissu social et économique qui est en jeu.
La crise humanitaire à Rutshuru dépasse le simple cadre d’une urgence ponctuelle. Elle questionne notre capacité collective à protéger les civils dans les zones de conflit, à garantir l’accès humanitaire dans les contextes instables, et à reconstruire ce que la violence a détruit. Les populations du territoire attendent plus que de la nourriture : elles attendent la dignité, la sécurité et l’espoir d’un avenir meilleur.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
