La République Démocratique du Congo s’apprête-t-elle enfin à tourner la page de quatre décennies de défi identitaire ? La question plane dans l’hémicycle du Sénat où le ministre de l’Intérieur, Jacquemain Shabani, a dévoilé ce mercredi 12 novembre 2025 une feuille de route ambitieuse pour la production et la délivrance de la carte d’identité biométrique RDC dès l’année prochaine. Face aux sénateurs visiblement sceptiques, le vice-Premier ministre a présenté un calendrier serré qui semble cette fois-ci prendre en compte les erreurs du passé.
Le gouvernement mise sur une approche innovante : le processus identification stratifiée. Cette méthodologie, présentée comme la solution aux défis logistiques et financiers, segmentera la population en dix catégories distinctes. « Les préalables et les contraintes sont en train d’être élagués, l’une après l’autre », a assuré le ministre Intérieur Shabani, dans une déclaration qui semble vouloir rassurer sur la faisabilité du projet. La stratification permettra de cibler prioritairement les électeurs, puis d’étendre progressivement l’identification aux autres segments de la population.
L’Office National d’Identification de la Population (ONIP) se trouve au cœur de cette vaste opération. L’institution sera prochainement dotée d’un centre de données capable d’accueillir et de traiter les informations biométriques de millions de Congolais. Le ministre a confirmé le transfert imminent des données de la CENI vers la base de données de l’ONIP identification population, une mutualisation des ressources qui pourrait accélérer le processus. Les électeurs déjà enrôlés constitueront ainsi la première strate à bénéficier de la future carte nationale RDC 2026.
Mais le gouvernement congolais joue gros sur ce dossier. L’échec du précédent contrat avec un consortium international plane comme un spectre sur les nouvelles ambitions. Le ministre Shabani a tenu à apporter des éclaircissements sur les 20 millions de dollars américains initialement décaissés : une partie a couvert les dépenses effectuées, une autre a été retournée au trésor public. Cette transparence forcée témoigne des lessons tirés des précédents échecs.
La question financière reste pourtant épineuse. Le ministre lui-même reconnaît que l’identification généralisée sera « très coûteuse » et exigera un personnel important « à former et à payer ». Le choix de l’approche stratifiée province par province, en commençant par Kinshasa comme province pilote, révèle une stratégie de contournement des obstacles budgétaires. Une méthode pragmatique ou un aveu de limitation des moyens ?
Les différentes strates identifiées – électeurs, élèves, forces de sécurité, prisonniers, Congolais de l’étranger – dessinent une cartographie complète de la population mais posent la question de l’inclusion. Pourquoi les enfants de zéro à six ans sont-ils exclus du processus ? Cette exclusion interroge sur la vision à long terme du projet d’identification nationale.
Le calendrier annoncé pour 2026 semble ambitieux, peut-être trop au regard des retards accumulés depuis 1984. Le nouveau appel d’offres technique et financier en cours d’étude par la Direction générale de gestion des marchés publics constituera le premier test de crédibilité de cette nouvelle initiative. La capacité du gouvernement à trouver des « partenaires fiables » déterminera largement la réussite ou l’échec de cette énième tentative.
La carte biométrique RDC représente bien plus qu’un simple document d’identité. Elle symbolise la reconnaissance étatique de chaque citoyen et constitue le fondement de toute planification développementale sérieuse. Le ministre Shabani en a conscience lorsqu’il évoque la mise à jour en temps réel des données des policiers et militaires, preuve que l’identification dépasse la simple dimension administrative.
Le sénateur Jean Bamanisa, à l’origine de la question orale, voit dans ce projet l’opportunité de lever « une fois pour toutes, ce vieux défi qui date de 1984 ». Reste à savoir si le gouvernement parviendra à transformer ces déclarations d’intention en réalité tangible. La crédibilité de l’exécutif se jouera également sur sa capacité à mener à bien ce projet structurant pour l’État congolais.
Alors que le pays s’achemine vers de nouveaux cycles électoraux, la question identitaire prend une dimension éminemment politique. La mise en place réussie de la carte nationale RDC 2026 pourrait redéfinir les relations entre l’État et ses citoyens. Mais l’échec, lui, renforcerait le scepticisme d’une population habituée aux promesses non tenues. Le ministre Shabani a lancé les dés ; il lui reste maintenant à prouver que cette fois-ci, les mots seront suivis d’actes.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: mediacongo.net
