Dans une manœuvre institutionnelle d’une portée symbolique considérable, le Président Félix-Antoine Tshisekedi a dégainé l’arme juridique contre les prétentions gouvernementales de la rébellion AFC/M23. Cette ordonnance présidentielle, lue sur la RTNC par Roger Kalenga Tshiakani, constitue une réponse ferme aux tentatives d’institutionnalisation d’un système judiciaire parallèle dans les territoires occupés de l’Est congolais.
Le gouvernement joue ici une partie d’échecs stratégique où chaque mouvement juridique compte. En déclarant nulles et non avenues toutes les décisions judiciaires émanant des forces d’occupation, Kinshasa envoie un message clair à la communauté internationale et aux populations locales : la souveraineté judiciaire de l’État congolais ne saurait être compromise, même dans les zones où son autorité physique est contestée.
La rébellion AFC/M23, soutenue par le Rwanda selon les accusations répétées des autorités congolaises, avait pourtant déployé des efforts notables pour légitimer son administration. La création d’une « Commission de relance de la justice » et le recrutement de 378 magistrats témoignent d’une volonté d’ancrage territorial qui ne pouvait rester sans réponse de la part des institutions légitimes.
Mais comment comprendre cette course à la légitimité judiciaire dans des territoires en proie à la violence ? L’enjeu dépasse la simple administration de la justice : il s’agit d’une bataille pour la reconnaissance et la pérennisation des conquêtes territoriales. En établissant des institutions judiciaires, la rébellion cherche à normaliser son occupation, tandis que l’État congolais oppose un refus catégorique à cette entreprise de légitimation.
L’analyse des motivations présidentielles révèle une stratégie à multiples facettes. D’un côté, il s’agit de protéger les populations contre des décisions arbitraires, comme le souligne l’ordonnance. De l’autre, Kinshasa entend préserver l’intégrité du système judiciaire national et empêcher toute reconnaissance internationale des structures mises en place par la rébellion.
Le timing de cette mesure n’est pas anodin. Elle intervient alors que des efforts diplomatiques se poursuivent au niveau international pour trouver une solution à la crise dans l’Est du pays. En renforçant sa position juridique, le gouvernement congolais se donne des arguments supplémentaires dans les négociations à venir.
La faible représentation féminine dans le système judiciaire de la rébellion – seulement 4,8% de femmes parmi les 378 magistrats recrutés – soulève par ailleurs des questions sur la nature réelle de cette institution parallèle. S’agit-il d’une véritable réforme judiciaire ou simplement d’un instrument de contrôle territorial ?
L’ordonnance précise que ces mesures conservatoires cesseront de produire leurs effets dès le rétablissement de l’autorité de l’État. Cette disposition témoigne de la vision transitoire que Kinshasa entend donner à cette initiative, tout en maintenant la porte ouverte à une normalisation future.
Dans ce contexte, on peut s’interroger sur l’efficacité réelle de telles mesures dans des zones où l’État a perdu le contrôle physique. La force du droit peut-elle s’imposer face à la loi du plus fort ? La réponse à cette question déterminera en grande partie l’issue de cette bataille judiciaire hors normes.
Alors que les combats se poursuivent sur le terrain, cette ordonnance marque un nouveau front dans le conflit qui déchire l’Est de la RDC : celui de la légitimité institutionnelle. Le Président Tshisekedi mise sur la primauté du droit pour contrer l’avancée des groupes armés, dans une approche qui pourrait s’avérer déterminante pour l’avenir de la région.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
