Le calme pesant qui règne ce mercredi sur Kyavinyonge n’a rien de normal. Les rues habituellement animées de cette agglomération du territoire de Beni ressemblent à un décor de film post-apocalyptique. « Regardez autour de vous, lance un habitant visiblement en colère. Plus un seul véhicule ne circule. C’est notre façon de crier notre désespoir face à ces routes devenues des pièges mortels. »
Cette journée sans véhicule, initiée par la société civile locale, paralyse complètement la circulation dans l’agglomération de Kyavinyonge. Mais derrière cette action radicale se cache une réalité bien plus profonde : l’abandon total des populations face à des routes qui se dégradent un peu plus chaque jour. Comment en est-on arrivé à une telle situation dans cette partie du Nord-Kivu ?
La société civile des villages de Kyavinyonge, Museya et Karuruma a décidé de frapper fort en programmant deux journées complètes sans circulation. Leur revendication est simple, mais vitale : des travaux d’entretien urgents sur les axes reliant Kyavinyonge à Butembo, Kambo et Kirindera. Ces routes, autrefois praticables, sont aujourd’hui dans un état de délabrement avancé qui met en péril la vie des usagers au quotidien.
« Nous transportons des femmes enceintes, des malades, des marchandises, mais à quel prix ? », s’interroge un chauffeur rencontré aux abords de la route dégradée. « Chaque voyage devient une aventure dont nous ne sommes pas sûrs de revenir vivants. » Les associations de chauffeurs et de taxis-motos de la région soutiennent massivement cette initiative, dénonçant l’indifférence des autorités malgré les multiples alertes lancées ces derniers mois.
La situation dans le territoire de Beni n’est malheureusement pas isolée. Elle s’inscrit dans un contexte régional plus large de dégradation alarmante des infrastructures routières. Plusieurs localités de la région font face à l’état critique des routes de desserte agricole, sévèrement endommagées par les fortes pluies des deux derniers mois. Même la Route nationale numéro 4 (RN4), pourtant considérée comme un axe majeur, montre des signes de faiblesse inquiétants, particulièrement sur le tronçon reliant Kabasha à Kalunguta.
Dans le territoire voisin de Lubero, la détérioration des routes provoque des conséquences économiques dramatiques. Le prix du transport entre Manguredjipa et Butembo a connu une flambée sans précédent, passant de 23 000 à 100 000 francs congolais pour une simple course à moto. Une augmentation qui pèse lourdement sur des populations déjà vulnérables.
« Comment voulez-vous que les gens ordinaires survivent dans ces conditions ? », demande une mère de famille rencontrée au marché. « Avec 100 000 francs, je devrais nourrir ma famille pendant une semaine. Maintenant, c’est le prix pour un seul trajet ! » Cette hausse vertigineuse s’explique non seulement par le mauvais état des routes, mais aussi par l’insécurité persistante dans la région, notamment les attaques récurrentes des rebelles des Forces démocratiques alliées (ADF).
Les motocyclistes qui bravent ces routes périlleuses entre Manguredjipa et Butembo décrivent une situation qui empire de jour en jour. Outre l’état déplorable de la chaussée, ils doivent faire face à de multiples barrières et à une baisse significative du nombre de passagers en provenance de Butembo. Ces difficultés combinées transforment chaque trajet en parcours du combattant.
L’insécurité ADF dans la région de Lubero ajoute une dimension tragique à cette crise des transports. De nombreux habitants cherchent désespérément à quitter les zones menacées, mais comment évacuer lorsque les routes sont impraticables et les prix prohibitifs ? Cette question hante les esprits dans tous les villages concernés.
La grève de la circulation à Kyavinyonge et la flambée des prix du transport à Butembo ne sont que les symptômes visibles d’un mal plus profond. Derrière ces chiffres et ces actions protestataires se cachent des vies humaines brisées, des économies locales asphyxiées et des communautés entières qui se sentent abandonnées à leur sort.
Combien de temps encore les populations du Nord-Kivu devront-elles subir cette double peine : des routes dégradées qui les isolent et une insécurité qui les terrifie ? La société civile a lancé son cri d’alarme. Reste à savoir si les autorités entendront cet appel au secours avant qu’il ne soit trop tard.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
