La tension politique a une fois encore éclaté au grand jour ce dimanche au Camp Luka, où les forces de l’ordre ont procédé à la dispersion musclée d’une manifestation organisée par le parti Envol. Cette intervention policière, marquée par l’utilisation de gaz lacrymogènes et de tirs à balles réelles, n’a pourtant pas suffi à étouffer le message porté par les militants de l’opposant Delly Sessanga, déterminés à rappeler au président Félix Tshisekedi la finitude de son mandat.
Au cœur de cette matinée politique mouvementée, Merdi Mazengo, président sectionnaire d’Envol au Camp Luka, venait tout juste de recouvrer la liberté après près d’une année de détention à la prison de Makala. Son retour dans son fief de la commune de Ngaliema prenait des allures de symbole politique fort, transformant cette simple manifestation en véritable acte de résistance.
« Comme vous le savez, j’étais ici tous les jours pour dénoncer le changement de la constitution », a déclaré Mazengo devant une foule acquise à sa cause, avant que les forces de l’ordre n’interviennent. Le leader politique n’a pas mâché ses mots, qualifiant de potentielle « destruction du pays » toute tentative de modification constitutionnelle visant à permettre un troisième mandat présidentiel. Son message, d’une clarté cristalline, s’adressait directement au chef de l’État : « Que le vieux jaloux [Samuel Mbemba, ministre des droits humains] aille dire à Félix Tshisekedi qu’il lui reste 1130 jours au pouvoir ».
Cette comptabilité précise des jours restants au président actuel n’est pas anodine. Elle s’inscrit dans une stratégie plus large de l’opposition visant à marquer le temps politique et à rappeler inlassablement l’échéance électorale. Le choix du chiffre – 1130 jours – fonctionne comme un rappel constant de la temporalité démocratique, une épée de Damoclès suspendue au-dessus du pouvoir en place.
Derrière les revendications chiffrées se cachent des demandes plus concrètes, soigneusement calibrées pour résonner auprès de la population. Mazengo a ainsi appelé le pouvoir à « profiter de ces jours pour réhabiliter les routes, d’électrifier Camp Luka, d’instaurer la paix dans l’est ». Une manière habile de lier le compte à rebours présidentiel aux attentes légitimes des citoyens en matière de développement et de sécurité.
La réaction des forces de l’ordre, intervenue au moment même où Mazengo prenait la parole, selon le témoignage du secrétaire général d’Envol Rodrigue Ramazani, ne fait qu’ajouter une couche supplémentaire à la complexité politique de cette affaire. Avec deux blessés recensés, cette intervention policière soulève des questions fondamentales sur la gestion des manifestations politiques et le respect des droits humains.
Le parti Envol ne s’y est pas trompé, pointant directement du doigt le ministre des droits humains Samuel Mbemba, accusé d’être « derrière cette attaque ». Cette accusation, si elle reste à être vérifiée, n’en demeure pas moins lourde de conséquences pour un gouvernement qui se veut garant des libertés fondamentales. Le ministre se retrouve ainsi placé dans une position délicate, devant concilier son portefeuille ministériel avec les accusations portées contre lui.
La libération récente de Merdi Mazengo et son retour immédiat sur la scène politique interrogent également sur les stratégies du pouvoir face à l’opposition. Fallait-il libérer un opposant pour mieux réprimer sa première prise de parole publique ? Cette apparente contradiction dans le traitement des dissidents politiques révèle-t-elle des divisions au sein de l’appareil d’État ? Autant de questions qui restent en suspens, mais qui trahissent les tensions sous-jacentes qui traversent le paysage politique congolais.
Au-delà de l’événement ponctuel, cette manifestation du Camp Luka et sa répression violente s’inscrivent dans un contexte plus large de crispation politique autour de la question constitutionnelle. Le spectre d’un changement de la constitution plane comme une menace sur l’équilibre institutionnel du pays, tandis que l’opposition se structure autour de ce thème fédérateur.
La capacité du pouvoir à gérer ces manifestations de dissidence, tout en préservant les apparences démocratiques, sera déterminante pour la suite du mandat présidentiel. Les 1130 jours évoqués par Mazengo représentent autant d’occasions de confrontation ou de dialogue, selon la volonté politique des différents acteurs. La balle est désormais dans le camp du président Tshisekedi, qui devra choisir entre la répression systématique et l’ouverture démocratique.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
