Alors que la communauté internationale commémore ce 17 octobre la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté, un constat économique préoccupant émerge pour la République Démocratique du Congo. Albert Zeufack, Directeur des opérations de la Banque mondiale pour la RDC, le Burundi, l’Angola et Sao Tomé et Principe, tire la sonnette d’alarme sur un défi majeur : la création d’emplois de qualité comme condition sine qua non d’une véritable inclusion sociale.
Les chiffres révèlent une situation économique paradoxale. Entre 2020 et 2024, le PIB par habitant a connu une croissance de 17%, pourtant le taux de pauvreté n’a reculé que marginalement, passant de 85% à 81,1%. Cette stagnation interpelle : comment expliquer que la croissance économique ne se traduise pas par une réduction significative de la pauvreté en République Démocratique Congo ?
La réponse réside dans ce que les économistes appellent l’élasticité emploi-croissance, un indicateur qui mesure la capacité d’une économie à créer des emplois lorsqu’elle croît. Sur la période 1990-2024, cet indicateur est proche de zéro (-0,01) en RDC, et devient même négatif (-1,46) entre 2020 et 2024. Autrement dit, l’économie congolaise a continué de croître alors que l’emploi reculait. Ce modèle de croissance capitalistique, tiré essentiellement par le secteur minier et les infrastructures, génère peu d’emplois et renforce les inégalités.
Le défi démographique qui s’annonce rend cette situation encore plus urgente. L’Afrique subsaharienne doit faire face à une explosion de sa population en âge de travailler, avec plus de 620 millions de personnes supplémentaires attendues sur le marché du travail d’ici 2050. La RDC occupe une place centrale dans cette dynamique, juste derrière le Nigeria, avec près de 72 millions de personnes concernées. Cette masse critique représente à la fois un défi immense et une opportunité historique pour la croissance économique inclusive.
Mais comment transformer cette potentialité démographique en dividende économique ? Comment créer davantage d’emplois de qualité en RDC pour permettre à ces millions de Congolais d’éviter le chômage et les emplois informels, souvent précaires et peu rémunérateurs ?
La Banque mondiale, dans sa dernière édition d’Africa Pulse, propose plusieurs pistes concrètes. Il s’agit notamment de réduire les coûts liés à l’environnement des affaires, d’améliorer les infrastructures de base et de renforcer la connectivité grâce à l’électricité, aux routes, au chemin de fer et au numérique. L’accès des entreprises aux capitaux et l’investissement dans les compétences techniques représentent également des leviers essentiels pour stimuler la création d’emplois de qualité en Afrique subsaharienne.
Albert Zeufack insiste sur la nécessité d’un changement de paradigme : « La performance économique ne peut plus être mesurée uniquement par le PIB, mais par la capacité de la croissance à créer des emplois de qualité et à réduire la pauvreté. Reconnecter la croissance à l’emploi et au bien-être des populations doit devenir la priorité centrale du modèle économique congolais. »
Des projets transformateurs sont déjà en cours pour répondre à cet impératif. Le Programme de Développement Inga 3 (PDI3), le Corridor de Lobito et le corridor PACT reliant Mbuji-Mayi à l’est de la RDC représentent autant d’opportunités pour créer des emplois de qualité et stimuler la croissance du secteur privé. Ces initiatives ont le potentiel de transformer les écosystèmes économiques en favorisant l’amélioration des infrastructures, la connectivité et l’investissement dans le capital humain.
Le partenariat entre la Banque mondiale et le Gouvernement congolais autour du projet Lobito incarne particulièrement cette nouvelle approche. Ce projet doit devenir un catalyseur de diversification économique et de création d’emplois de qualité, rompant avec le paradigme actuel où la croissance est tirée par des secteurs capitalistiques et enclavés, comme les mines, qui génèrent peu d’emplois et tendent à renforcer les inégalités.
Parallèlement à ces grands projets infrastructurels, des initiatives ciblent spécifiquement l’entrepreneuriat des jeunes et des femmes. Le Projet d’Appui au Développement des Petites et Moyennes Entreprises (PADMPME) et le projet TRANSFORME, dédié à l’autonomisation des femmes entrepreneures, visent à offrir aux femmes et aux jeunes un accès à la formation, au mentorat et au financement.
La célébration de cette Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté prend ainsi une résonance particulière en RDC. Elle rappelle que la lutte contre la pauvreté ne se gagnera pas seulement par la croissance économique, mais par une croissance qui crée des emplois décents et inclusifs. Le défi est de taille, mais l’enjeu est crucial : construire une prospérité partagée qui bénéficie à l’ensemble de la population congolaise.
Article Ecrit par Amissi G
Source: Actualite.cd
