Dans les collines verdoyantes de Masisi, au Nord-Kivu, les mains calleuses de Zaina creusent la terre avec une détermination qui défie les obstacles. « Nous sommes les premières levées et les dernières couchées, mais nos noms n’apparaissent sur aucun titre foncier », confie cette agricultrice de 45 ans, présidente de la coopérative Tuungana. Son témoignage résonne comme un écho aux milliers de femmes rurales qui nourrissent leur communauté tout en luttant pour leur reconnaissance.
Comment expliquer que celles qui produisent près de 80% des denrées alimentaires locales se voient systématiquement privées de droits fonciers ? La tradition, souvent invoquée, consacre la propriété masculine des terres, reléguant les femmes au statut de main-d’œuvre agricole sans sécurité ni perspective d’autonomie. « Quand mon mari est décédé, sa famille a récupéré le champ que je cultivais depuis quinze ans. Je me suis retrouvée sans rien, avec cinq enfants à nourrir », raconte une autre membre de la coopérative, préférant garder l’anonymat par crainte de représailles.
Le changement climatique vient aggraver cette précarité structurelle. Les saisons deviennent imprévisibles, les pluies torrentielles alternent avec des sécheresses prolongées, détruisant les récoltes soigneusement entretenues. « L’année dernière, mes plants de manioc ont été emportés par des glissements de terrain. J’avais tout investi dans cette culture », déplore Jeanne, agricultrice à Katoyi. Ces perturbations climatiques menacent directement la sécurité alimentaire d’une région déjà fragilisée par des décennies de conflits.
Face à ces défis multiples, la coopérative Tuungana représente un rayon d’espoir. Cette structure accompagne les femmes rurales de Masisi dans leur quête d’autonomie grâce à des formations en agriculture durable, la mise en place de groupes d’épargne collective et des distributions ponctuelles de matériel agricole. « Nous apprenons des techniques de conservation des sols et de rotation des cultures pour faire face au dérèglement climatique », explique Zaina, visiblement fière des progrès accomplis.
Pourtant, ces initiatives locales peinent à compenser l’absence criante d’infrastructures routières. Comment commercialiser des denrées périssables quand les pistes deviennent impraticables à la moindre pluie ? Les pertes post-récolte atteignent parfois 40% dans certains villages reculés, condamnant les agricultrices à la spirale infernale de l’endettement et de la pauvreté.
À l’occasion de la Journée internationale de la femme rurale, ces travailleuses de l’ombre lancent un appel poignant aux autorités : la reconnaissance de leurs droits fonciers n’est pas une simple question d’équité, mais une condition sine qua non pour assurer la sécurité alimentaire du Nord-Kivu. Leur message est clair : investir dans l’autonomisation des femmes rurales, c’est investir dans la résilience de toute une région.
Alors que le monde célèbre ces femmes qui nourrissent les nations, celles de Masisi continuent leur labeur, entre espoir et résignation. Leur combat dépasse largement le cadre agricole : il interroge fondamentalement notre conception du développement et de la justice sociale en République Démocratique du Congo. Jusqu’à quand continuerons-nous à fermer les yeux sur cette injustice qui mine les fondements mêmes de notre société ?
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net