Le général major ougandais Stephen Mugerwa, fraîchement nommé à la tête des opérations Shujaa, a lancé un appel significatif ce mardi 7 octobre à Beni. Lors d’une audience avec le gouverneur militaire du Nord-Kivu, l’officier a recommandé la mise en place d’unités locales de défense pour sécuriser les villages congolais. Cette proposition intervient dans un contexte sécuritaire particulièrement tendu dans l’est de la République Démocratique du Congo.
« En tant que nouveau commandant des opérations Shujaa, je suis venu voir le gouverneur pour étudier comment en finir avec l’ennemi », a déclaré le général Mugerwa aux journalistes. Le commandant ougandais a souligné la nécessité de cette stratégie défensive qui a déjà fait ses preuves dans son pays lors de la traque de la LRA. Les unités locales de défense devraient selon lui combler un vide sécuritaire critique.
La logique militaire derrière cette recommandation apparaît claire : pendant que les FARDC et l’UPDF mènent des opérations offensives en profondeur contre les ADF, les villages restent vulnérables aux attaques de représailles. « Quand nous frappons l’ennemi en profondeur, il nous contourne et vient se rabattre sur des civils. Mais si nous laissons des unités locales de défense derrière nous, tout ira bien », a expliqué le général Stephen Mugerwa.
Le commandant des opérations Shujaa a par ailleurs tenu à rassurer sur la parfaite collaboration entre les armées congolaise et ougandaise. « Tout va bien. Il n’y a aucun problème. Nous coordonnons ensemble, nous mangeons ensemble, nous marchons ensemble, nous endurons ensemble », a-t-il affirmé. Un message important dans une région où la méfiance persiste parfois concernant la présence militaire ougandaise.
Mais que recouvre exactement le concept de « Local Defense Units » ? En Ouganda, ces unités de défense locale (LDU) ont été instituées par le président Museveni dès son accession au pouvoir. Elles ont soutenu les conseils locaux dans la mobilisation populaire et servi de force de renfort à l’armée régulière. Leur rôle incluait la collecte de renseignements et le maintien de l’ordre au niveau communautaire.
Cyrille Mbugheki, expert des questions sécuritaires, confirme l’efficacité de ce système : « Ceux de Kasese peuvent vous témoigner que chaque semaine il y avait des massacres de masses. Museveni avait décidé de prendre dans chaque village au moins trois personnes qu’ils formaient à sécuriser les villages ». Une stratégie qui selon lui aurait pu prévenir le massacre de plus de 70 civils à Ntoyo début septembre.
La proposition ougandaise rencontre d’ailleurs un écho favorable dans certaines franges de l’opinion du Grand-Nord-Kivu. Le professeur Muhindo Mughanda, actuel recteur de l’Université de Goma, militait déjà pour l’armement des citoyens durant son mandat à l’Université officielle de Rwenzori. Une position qui ne fait pourtant pas l’unanimité dans le milieu universitaire congolais.
Le professeur Nissé Mughanda, enseignant en Relations Internationales à l’Université catholique du Graben, exprime des réserves substantielles. Il évoque la difficulté pour Kinshasa de contrôler la circulation des armes remises aux civils dans une zone déjà extrêmement fragile. Une préoccupation légitime dans une région où les groupes armés prolifèrent.
La question se pose alors : la RDC dispose-t-elle déjà d’un mécanisme similaire avec la Réserve armée de la défense (RAD) ? Instituée en 2023 au plus fort de la crise du M23, cette force supplétive des FARDC peine à trouver son rythme de croisière au Nord-Kivu. La RAD, constituée de militaires retraités, de démobilisés et de volontaires civils, éprouve des difficultés à former et encadrer les milices wazalendo.
Le défi sécuritaire reste donc entier dans cette région où les ADF continuent de semer la terreur depuis 2014. Les territoires d’Irumu et Mambasa en Ituri, de Beni et Lubero au Nord-Kivu, sans oublier Bafwasende dans la Tshopo, paient un lourd tribut à l’insécurité persistante. La recommandation du général Mugerwa ouvre un débat crucial sur les meilleures stratégies de protection des civils.
Les opérations Shujaa, menées conjointement depuis novembre 2021, peuvent-elles gagner en efficacité avec l’appui d’unités locales de défense ? La réponse à cette question pourrait bien déterminer l’évolution de la sécurité dans les zones opérationnelles du Nord-Kivu. Reste à savoir si les autorités congolaises adopteront cette approche qui a fait ses preuves chez le voisin ougandais.
Article Ecrit par Cédric Botela
Source: Actualite.cd