Plus de six mois après leur nomination par ordonnances d’organisation judiciaire, les 2 500 magistrats civils et militaires recrutés en mars 2025 demeurent dans l’attente de leur formation, de leur affectation et, surtout, de leur rémunération. Cette situation paradoxale, où des juges et procureurs théoriquement en fonction se retrouvent dans une précarité matérielle absolue, soulève des interrogations fondamentales sur la capacité de l’État congolais à réformer en profondeur son appareil judiciaire.
Le Président Félix Tshisekedi avait pourtant affiché une volonté claire de renforcer les effectifs judiciaires, complétant ainsi le recrutement initié en 2022 pour porter à 5 000 le nombre total de nouveaux magistrats intégrés. Cette mesure ambitieuse répondait à un constat alarmant : avec seulement 3 000 magistrats pour une population dépassant les 100 millions d’habitants, la République Démocratique du Congo faisait face à une carence chronique en personnel judiciaire, entravant considérablement l’accès des citoyens à la justice.
Lors du Conseil des ministres du 4 avril 2025, le Chef de l’État avait explicitement instruit la Première ministre, les ministres du Budget, des Finances et de la Justice, ainsi que le président du Conseil Supérieur de la Magistrature, à accélérer le processus d’intégration de ces nouveaux magistrats. Les instructions présidentielle visaient spécifiquement la formation, la mécanisation administrative et le paiement des salaires, conditions sine qua non pour permettre une affectation rapide dans les juridictions et combler les vides persistants dans de nombreux ressorts judiciaires.
Comment expliquer qu’en dépit de ces directives claires et de l’allocation budgétaire de 48 milliards de francs congolais prévue pour 2025, aucun progrès tangible n’ait été enregistré ? La question hante les couloirs du pouvoir judiciaire et préoccupe les observateurs de la scène politique congolaise. Les magistrats de la promotion 2025, regroupés au sein du Forum Général des Magistrats, dénoncent une situation de « précarité absolue » et pointent du doigt la réaffectation des fonds initialement destinés à leur prise en charge.
« Nous nous retrouvons sans salaire depuis mars, sans formation ni affectation, nous peinons à assumer nos fonctions et subissons l’indifférence administrative », confie l’un de ces magistrats, requérant l’anonymat. La réallocation des crédits en 2024 pour réajuster les barèmes des magistrats en exercice, bien que compréhensible dans son principe, a créé un vide financier catastrophique pour les nouveaux recrutés.
Cette paralysie administrative a conduit à l’émergence de mouvements de protestation pacifique à Kinshasa en juin et juillet 2025. Des sit-in organisés devant les ministères concernés ont dénoncé ce qui est perçu comme un abandon de l’État, susceptible de miner durablement l’indépendance et l’efficacité de la justice congolaise. Les manifestants, essentiellement des magistrats fraîchement nommés, appellent à une intervention urgente des plus hautes autorités pour restaurer la confiance dans les institutions.
La crise des nominations de magistrats en RDC dépasse le simple cadre administratif pour toucher à la crédibilité même de la réforme judiciaire. Alors que le gouvernement affichait l’objectif de fluidifier le traitement des affaires et d’améliorer l’accès à la justice, le blocage actuel risque au contraire d’aggraver les retards judiciaires et de saper la confiance des justiciables. La formation des magistrats, élément essentiel à la qualité de la justice, reste également en suspens, posant la question de la capacité opérationnelle future de ces nouveaux acteurs judiciaires.
La situation actuelle interroge sur la coordination entre les différentes institutions concernées et sur la priorité réelle accordée à la réforme judiciaire dans l’agenda gouvernemental. Les prochaines semaines seront déterminantes pour savoir si l’État congolais parviendra à débloquer cette impasse ou si la nomination de ces 2 500 magistrats restera une mesure symbolique sans effectivité concrète.
Article Ecrit par Cédric Botela
Source: Actualite.cd