Dans l’ombre des bureaux d’immigration zambiens, un artiste congolais a vécu vingt-quatre heures qui ont semblé durer une éternité. L’air confiné des cellules de Mansa a remplacé l’espace scénique, les formalités administratives ont succédé aux répliques théâtrales. Djo Kazadi Ngeleka, ce nom qui résonne habituellement dans les salles de spectacle, s’est retrouvé prisonnier d’un système dont les rouages semblaient s’être grippés autour d’un simple passeport et d’un cachet manquant.
Comment un artiste habitué à dépeindre l’absurdité des systèmes sociaux dans ses œuvres s’est-il retrouvé pris au piège de cette même absurdité qu’il critique ? La question plane comme un personnage invisible dans cette pièce de théâtre réellement vécue. Son appel lancé à la communauté congolaise depuis sa détention en Zambie a créé une onde de choc qui a traversé les frontières, rappelant la vulnérabilité des artistes face aux mécanismes administratifs parfois kafkaïens.
Le Ministère congolais de la Culture, Arts et Patrimoine s’est rapidement saisi du dossier, démontrant par sa réactivité la place centrale qu’occupe désormais la protection des artistes dans ses priorités. Dans un communiqué précis et mesuré, l’institution a confirmé la libération de Djo Ngeleka, fruit d’une collaboration étroite avec l’Ambassade de la RDC en Zambie. L’artiste se trouvait à la frontière au moment de la fermeture, attendant patiemment le lever du jour pour regagner Lubumbashi, cette ville qui l’a vu naître à son art.
Cette arrestation en territoire zambien soulève des questions plus profondes sur la mobilité des artistes africains et les obstacles administratifs qu’ils rencontrent. Dans une région où les échanges culturels devraient fleurir, comment expliquer que des formalités puissent transformer un ambassadeur de la culture congolaise en prisonnier ? La libération de l’artiste congolais intervient comme un soulagement, mais aussi comme un rappel des combats qui restent à mener.
Djo Ngeleka n’est pas un artiste quelconque. Originaire de Likasi et coordonnateur de la compagnie La Seringu’arts de Lubumbashi, il incarne cette nouvelle génération d’artistes engagés qui utilisent l’art comme miroir de la société. Sa pièce « Le Lac » représente bien plus qu’une simple œuvre théâtrale : c’est une métaphore puissante de l’Afrique contemporaine, naviguant entre désordre existentiel et quête de sens. Loin de décrire un plan d’eau géographique, l’auteur y peint les eaux troubles d’une société confrontée à l’absurde et à la tragédie.
L’ironie de cette situation n’a probablement pas échappé à l’humoriste : lui qui utilise habituellement l’humour et le décalage pour aborder les réalités douloureuses de son pays s’est retrouvé plongé dans une situation qui aurait pu sortir de l’une de ses propres pièces. Son arrestation en Zambie et sa libération rapide démontrent l’efficacité des mécanismes de protection mis en place par le Ministère de la Culture, mais interrogent aussi sur la fréquence de tels incidents.
La communauté culturelle congolaise, unie dans son soutien, a montré sa capacité à se mobiliser rapidement. Cette solidarité artistique transcende les frontières et les disciplines, rappelant que la création artistique constitue un patrimoine commun qui mérite protection. Le théâtre engagé congolais, dont Djo Ngeleka est l’un des brillants représentants, continue ainsi son œuvre de conscientisation, même lorsque la réalité rattrape la fiction.
Au-delà de l’épisode malheureux de cette arrestation, que nous apprend cette affaire sur la condition de l’artiste en Afrique centrale ? La rapidité de l’intervention ministérielle envoie un signal fort : la dignité des créateurs n’est plus négociable. Les efforts du Ministère de la Culture pour garantir la sécurité et la considération dues aux artistes s’inscrivent dans une vision plus large de valorisation du secteur culturel comme pilier du développement national.
Demain, lorsque Djo Ngeleka franchira la frontière pour retrouver Lubumbashi, il emportera avec lui le souvenir de ces vingt-quatre heures qui ont marqué son parcours d’artiste. Mais peut-être en tirera-t-il aussi la matière pour de nouvelles créations, continuant ainsi son travail essentiel de décryptage des réalités africaines à travers le prisme du théâtre. Car c’est bien là la force des artistes engagés : transformer l’épreuve en œuvre, la contrainte en création, et l’absurdité en réflexion.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Actualite.cd