La scène musicale congolaise vibre au rythme d’une voix nouvelle et percutante. Jenny Paria Nzego, slameur et rappeur de Goma, dévoile son premier projet musical intitulé « Jibu », une œuvre en huit titres qui transcende les frontières du hip-hop conventionnel pour offrir une expérience philosophique et sensorielle unique. Disponible sur YouTube et les plateformes de streaming, cet EP se présente comme une réponse artistique aux questionnements profonds de notre époque.
Dès les premières notes, l’artiste gomatracien impose sa signature vocale – une voix grave et vibrante qui porte les stigmates de l’authenticité. Comment décrire cette musicalité ? Un mélange de slam poétique et de rap engagé, où chaque mot résonne comme un coup de marteau sur la conscience collective. Les instrumentaux, tantôt minimalistes tantôt enveloppants, servent d’écrin à des textes d’une rare densité conceptuelle.
À travers des titres comme « Mental » ou « Être Dieu quelques minutes », Jenny Paria explore les paradoxes de la condition humaine avec une lucidité déconcertante. Le morceau phare « Jibu » (réponse en swahili) constitue le cœur battant de ce projet : une suite de questions rhétoriques qui interrogent nos certitudes les plus ancrées. « Est-ce que ceux qui parlent ont des choses à dire ? », « Est-ce que toute joie est un bonheur ? » – autant d’interpellations qui transforment l’écoute en exercice de méditation active.
La force de Jenny Paria réside dans son refus des compromis artistiques. Dans « Mental », il assume pleinement son positionnement hors des circuits commerciaux : « Je suis le meilleur rappeur mais pas le plus rentable ». Une déclaration qui sonne comme un manifeste pour une musique engagée en RDC, loin des standards formatés de l’industrie. Son constat est sans appel : une musique qui vend des valeurs perce moins facilement que celle qui promeut les « bêtises ».
L’artiste pousse l’audace jusqu’à revisiter les mythologies contemporaines dans « Rendez-nous nos dieux », un plaidoyer panafricain d’une actualité brûlante. Sa voix se fait alors tribune, rappelant que « l’Africain n’est ni esclave ni serviteur » mais partenaire de son destin. Cette réappropriation narrative constitue l’un des moments les plus puissants de l’EP, où le slam congolais retrouve sa fonction première de transmission mémorielle.
Mais Jenny Paria n’est pas qu’un intellectuel ; c’est aussi un poète des sentiments bruts. « Mobali » (homme en lingala) explore la vulnérabilité masculine avec une sensibilité rare. « Un homme ne pleure pas », chante-t-il, avant de déconstire ce stéréotype toxique. La langue lingala conserve ici sa « magie » intacte, portant des émotions que le français ne saurait fully traduire.
Dans « Image foutue », l’artiste ausculte les névroses de l’ère numérique : « Snap remplace miroir. Les gens te suivent, mais qui t’accompagne ? ». Une critique acerbe des réseaux sociaux qui résonne particulièrement dans un contexte congolais où le paraître devient parfois plus important que l’être.
Produit par Vizionr, « Jibu » s’écoute comme un cheminement initiatique. Jenny Paria ne propose pas de réponses définitives mais ouvre des brèches dans nos certitudes. Son approche artistique rappelle que la musique engagée en RDC vit et se renouvelle, portée par une nouvelle génération d’artistes conscients de leur rôle social.
Ce projet confirme Jenny Paria comme l’une des voix les plus originales du slam congolais. Demi-finaliste de la coupe du monde de slam 2022, l’artiste de Goma assume pleinement sa singularité : « Je préfère être ivre que suivre la normalité du monde ». Une philosophie qui fait de « Jibu » bien plus qu’un EP – un manifeste existentiel pour notre temps.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Actualite.cd