Au cœur de Kinshasa, le marché informel de Selembao s’étale comme une cicatrice urbaine, symbole criant des contradictions économiques de la RDC. Des centaines de commerçants transformant les bas-côtés de la route de la Libération en étals précaires, défiant dangers et autorités pour survivre.
« Je vends ici puisqu’il n’y a pas de place à l’intérieur », confie Manassé Luzolo, vendeur d’accessoires téléphoniques. Comme lui, des dizaines de marchands versent entre 20 000 et 30 000 FC mensuels à des propriétaires de boutiques pour le privilège d’occuper quelques centimètres de trottoir. Une économie de la débrouille où la visibilité prime sur la sécurité.
Mais derrière cette apparente résilience se cache un quotidien de lutte contre les tracasseries policières. Jordan Bokulaka, vendeur aguerri, décrit un système de prédation institutionnalisé : « Les agents de sécurité viennent régulièrement confisquer nos marchandises. Pour les récupérer, il faut payer. Ils disent que le bourgmestre ne veut plus nous voir sur la route, mais ils nous demandent de l’argent pour nous laisser tranquille ».
Le danger rôde à chaque instant sur cette route étroite et surchargée. Un jeune marchand de vêtements évoque avec fatalisme les risques encourus : « Une seule erreur d’un conducteur et nous serons atteints. Mais vu la situation socio-économique du pays, nous n’avons pas le choix ». Son témoignage révèle l’impasse dans laquelle se trouve toute une génération confrontée à l’absence d’emplois formels.
Les usagers du marché, comme Soki Kanda, pointent du doigt les problèmes d’hygiène et de circulation : « Ils évoluent dans un milieu malpropre, les aliments sont par terre à côté de la boue. Leur présence perturbe gravement la circulation et crée des embouteillages inutiles ».
La mémoire collective garde encore les stigmates d’un drame passé. Il y a quelques années, un accident ravageur sur la route de la Libération avait fauché des dizaines de vies parmi les vendeuses installées entre les avenues Mabwana et Ngueba. Un avertissement tragique qui n’a pourtant rien changé.
Comment expliquer que malgré les dangers évidents et les tracasseries policières, le marché informel de Selembao continue de prospérer ? La réponse se niche dans les contradictions d’un système économique qui pousse les citoyens vers l’informel tout en les réprimant. L’économie informelle au Congo représente une bouée de sauvetage pour des milliers de familles, mais elle les expose simultanément à tous les dangers.
Les autorités municipales se trouvent face à un dilemme : réprimer une activité vitale pour beaucoup ou organiser son intégration dans le tissu urbain. La construction d’un marché structuré pourrait-elle solutionner cette quadrature du cercle ? Les commerçants semblent partagés entre l’habitude d’un système qu’ils maîtrisent et la crainte de perdre leur clientèle.
En attendant, chaque jour apporte son lot de risques et d’incertitudes. Les accidents de la route menacent, les tracasseries policières se multiplient, mais la nécessité économique l’emporte. Le marché pirate de Selembao continue ainsi de vivre au rythme des klaxons et des négociations, microcosme d’une République Démocratique du Congo tiraillée entre informalité et modernité.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd