Jamais depuis son accession au pouvoir en janvier 2019, Félix Tshisekedi n’avait été aussi violemment pris à partie par ses propres troupes. Les récentes nominations gouvernementales de juillet-août 2025 ont déclenché une crise ouverte au sein de l’UDPS, où des communicateurs historiques déploient une artillerie verbale décapante. Kalonji, Mukendi ou encore « Jules Munyere » fustigent une équipe dont « on n’attend rien d’extraordinaire », selon les mots cinglants du pasteur Paul Mukendi. Cette fronde inédite interroge : pourquoi le bilan Tshisekedi suscite-t-il soudain autant de remous dans son propre camp ?
La réponse se niche peut-être dans un paradoxe constitutionnel. Tandis que l’article 91 de la Loi fondamentale stipule clairement que « le Gouvernement conduit la politique de la Nation », la pratique présidentielle s’en éloigne radicalement. Dès 2019, Tshisekedi a restauré un présidentialisme hérité des ères Mobutu et Laurent-Désiré Kabila, réduisant le Premier ministre au rôle de simple exécutant. Le programme des 100 Jours, conduit depuis la Cité de l’Union Africaine plutôt que par le gouvernement Tshibala, en fut la première manifestation emblématique.
Cette concentration du pouvoir s’est accentuée après la rupture avec le FCC. Sous les gouvernements Sama Lukonde puis Sumwina, le chef de l’État instruit directement ministres et vice-ministres, court-circuitant allègrement la hiérarchie gouvernementale. « C’est par abus de langage qu’on parle encore de gouvernement », observe un constitutionnaliste, soulignant que nous serions en réalité au « Tshisekedi 5 » tant l’exécutif émane du palais présidentiel. Une réalité que dénoncent aujourd’hui jusqu’aux barons de l’UDPS, inquiets de voir leur marge de manœuvre politique se réduire comme peau de chagrin.
Les conséquences de cette gouvernance solitaire apparaissent au grand jour lors des crises. Qui se souvient que la déroute du franc congolais fut imputée à Sama Lukonde sur les ondes de Top Congo FM à la veille des élections de 2023 ? Qui rappelle que l’affaire du séjour de la délégation M23 à Kinshasa fut rejetée sur le vice-Premier ministre Gilbert Kankonde ? Plus grave encore, certaines décisions stratégiques – comme l’adhésion à la Communauté est-africaine (EAC) ou les négociations de Doha – furent engagées sans consultation gouvernementale préalable, par de simples émissaires présidentiels.
Cette dérive institutionnelle pose une question fondamentale : à qui le président doit-il rendre des comptes ? La Constitution, qu’il « ne croit pas » selon ses propres proches, ne prévoit aucune redevabilité présidentielle directe. Le gouvernement, théoriquement responsable devant l’Assemblée nationale, se trouve paralysé. Reste le fameux principe « Le salut du peuple est la loi suprême », brandi comme justification ultime à chaque entorse constitutionnelle.
Alors que son second mandat entre dans sa phase finale, Tshisekedi joue un double jeu périlleux. D’un côté, il assume pleinement la conduite des affaires étatiques, forgeant son bilan présidentiel au marteau. De l’autre, il délègue les échecs à des ministres interchangeables. Cette équation politique devient intenable à mesure que les déceptions s’accumulent et que la base historique de l’UDPS manifeste son impatience. La nomination du dernier gouvernement aura révélé au grand jour ces fractures latentes.
Dans moins de trente mois, le chef de l’État devra assumer ce bilan contrasté devant l’histoire. Entre-temps, la tension monte entre partisans d’un strict respect des articles 90-91 et défenseurs d’un présidentialisme assumé. Une bataille dont l’enjeu dépasse les querelles internes à l’UDPS : c’est l’équilibre même des institutions congolaises qui se joue dans ce bras de fer constitutionnel. Le spectre du « Tshisekedi 6 » plane déjà sur cette fin de mandat, rappel ironique que le présidentialisme congolais, une fois enclenché, tend à se perpétuer contre vents et marées juridiques.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: mediacongo.net