Dans le territoire de Beni, au cœur du Nord-Kivu, une crise sanitaire silencieuse frappe les enseignants. Pourtant affiliés à la Mutuelle de santé des enseignants de la RDC (MESP), près de 9 000 professeurs se retrouvent sans aucune couverture médicale effective, malgré des cotisations régulières. Comment une structure agréée par l’État peut-elle laisser ses bénéficiaires dans un tel dénuement ?
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : chaque mois, 8 930 enseignants de la province éducationnelle Nord-Kivu 2 versent scrupuleusement 5 000 francs congolais. Cela représente un montant colossal de 669 millions FC (environ 230 000 USD) collectés depuis le démarrage des activités de la MESP à Beni. Pourtant, le président de l’Union nationale des enseignants du Congo (UNECO), Jérémie Kasereka Kinyangwa, lance une alerte glaçante : « Aucun enseignant n’a reçu le moindre soin, pas même un comprimé de paracétamol ». Une situation d’autant plus inacceptable que ces éducateurs opèrent dans une zone en proie aux attaques des rebelles ADF, où l’accès aux soins relève déjà du parcours du combattant.
Imaginez-vous exercer un métier essentiel dans des conditions de sécurité précaires, sans pouvoir soigner une simple malaria ou une blessure ? C’est le quotidien des enseignants de Beni, dont la mutuelle santé – censée être un bouclier contre les aléas médicaux – fonctionne comme un mirage administratif. « Nous croyions vraiment à la prestation de la MESP pour réduire le problème d’accès aux soins », déplore Kinyangwa, la désillusion palpable. Après quinze mois de contributions sans contrepartie, la colère gronde.
Face à cette crise MESP à Beni, l’UNECO pose un ultimatum aux autorités : rendre opérationnelle la couverture médicale avant la rentrée scolaire de septembre. Faute de quoi, le syndicat brandit la menace d’un boycott pur et simple des classes dans le territoire. « Si d’ici septembre, la MESP ne s’active pas, il n’y aura pas de rentrée scolaire », prévient le représentant syndical. Une décision radicale, mais qui souligne l’urgence d’une prise en charge sanitaire pour ces fonctionnaires oubliés.
Le paradoxe est saisissant lorsqu’on examine la situation à Butembo, territoire voisin. Selon des déclarations de la secrétaire exécutive nationale de la MESP, des enseignants y bénéficieraient déjà de soins dans des structures partenaires. Pourquoi cette disparité criante au sein d’une même province ? Cette incohérence administrative laisse des milliers d’enseignants sans couverture médicale dans une région où les besoins sanitaires sont exacerbés par l’insécurité chronique.
L’enjeu dépasse la simple logistique : il touche à la dignité humaine et à la continuité éducative. Comment assurer l’enseignement dans le Nord-Kivu si ceux qui portent le savoir doivent choisir entre acheter des médicaments ou nourrir leur famille ? La MESP, mécanisme pourtant obligatoire, montre ici des failles systémiques qui transforment la promesse d’accès aux soins en amère désillusion.
Alors que la rentrée scolaire approche, la balle est dans le camp des gestionnaires de la mutuelle santé enseignants RDC et des autorités éducatives provinciales. Il leur reste quelques semaines pour désamorcer une crise sociale et sanitaire qui pourrait paralyser l’éducation à Beni. Car au-delà des chiffres et des menaces de boycott, c’est la crédibilité même du système de protection sociale des enseignants qui se joue dans cette affaire. Dans une région meurtrie, garantir les soins médicaux élémentaires n’est pas un luxe – c’est une condition minimale du service public.
Article Ecrit par Amissi G
Source: radiookapi.net