Le soleil peine à percer les nuages au cimetière de la Gombe à Kinshasa ce 1er août. Marie K., 62 ans, essuie la pierre tombale de ses parents d’un geste tremblant : « Cette journée est sacrée. C’est notre devoir de perpétuer la mémoire de ceux qui nous ont bâti ». Comme des milliers de Congolais, elle participe à la tradition annuelle de recueillement des familles congolaises, ce rituel profondément ancré où l’on honore à la fois les vivants et les disparus. Pourtant, cette année, l’émotion se teinte d’amertume dans plusieurs régions du pays.
À Lubumbashi, le constat est glaçant. Cyrille Mulaja, administrateur général de la mairie, dresse un tableau alarmant : « Des constructions anarchiques envahissent les cimetières comme Penga Penga ou Sapins. On découvre des tombes superposées, profanées, des croix arrachées par des voleurs de ferraille ». Cette spoliation des cimetières Lubumbashi transforme des lieux de mémoire en chantiers chaotiques, où les concessions funéraires disparaissent sous le béton illégal. Des familles venues se recueillir se heurtent à des murs en construction ou des tas de gravats à la place des sépultures. « Comment vénérer nos ancêtres quand leurs repos éternels sont violés ? » s’interroge un habitant, les mains vides devant l’emplacement disparu de la tombe familiale.
La journée parents RDC, pourtant symbole d’unité, révèle ainsi des fractures urbaines criantes. Les démolisseurs municipaux s’apprêtent à intervenir, mais le mal est profond. Cette tradition du 1er août Congo, née d’un décret de Mobutu en 1971, prend des visages contrastés selon les provinces. À Kinshasa justement, si les cimetières accueillent des processions émouvantes, d’autres optent pour l’intimité domestique. Dans le quartier de Matonge, la famille Ilunga a réuni trois générations autour d’un album photo jauni : « Pour nous, le souvenir vit dans les récits et les rires partagés, pas forcément sous une pierre tombale », confie le patriarche. Un jeune père renchérit : « Honorer les vivants ici, maintenant, c’est aussi perpétuer l’héritage ».
Ces divergences de pratiques interrogent l’essence même de la transmission. Faut-il sanctuariser les cimetières Kinshasa et provinciaux comme des bastions immuables, ou accepter que la mémoire migre vers les foyers ? La question se pose avec acuité alors que l’urbanisation galopante grignote les espaces funéraires. Les autorités municipales tentent de trouver un équilibre périlleux entre développement et préservation patrimoniale. « Démolir n’est qu’un pansement sur une plaie béante », regrette un sociologue de l’université de Lubumbashi. « Le vrai défi est d’inventer une cohabitation respectueuse entre les morts et les vivants dans nos cités en expansion ».
Alors que le crépuscule tombe sur les cimetières, des bougies tremblotantes dessinent un chemin de lumière entre les tombes encore intactes. Ces flammes fragiles sont peut-être le symbole de cette tradition du 1er août Congo : une lueur de résistance face à l’oubli et la bétonisation. Mais jusqu’à quand ? La réponse appartient à une société tiraillée entre modernité et sacralité des origines. Une chose est sûre : le recueillement des familles congolaises, qu’il soit collectif ou intime, reste le ciment indestructible d’une identité qui refuse de se laisser déraciner.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net